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Philibert Delorme ? C’est tout au fond du Saosnois !

Si tous les chemins mènent à Rome, tous ne mènent pas directement - loin de là - au manoir de Verdigné à Avesnes en Saosnois (Pour l’Avignonnais que je suis, est-ce dans le Perche ?) Notre caravane de voitures des Amis du Musée Alain de Mortagne-au-Perche s’étire dans la campagne sur de minuscules routes que seul le bitume permet de distinguer d’un chemin agricole. Tous les cent mètres, un étroit carrefour tagué d’un haut calvaire… on s’y arrête, on hésite, on fait demi-tour… on encombre… nouveau carrefour, nouvelle marche arrière, nouveau départ…

Une mare à grenouilles, verte de cresson dans un bosquet de châtaigners ? Non, ce sont les larges douves annonciatrices du manoir. Il est là ! C’est un vieux monsieur bancroche blessé par le temps, venu du fond des âges, du XVIe siècle précisément nous dit dans la cour le propriétaire, Monsieur Gagnot qui précise : « selon des modèles de Philibert Delorme que vous rencontrerez partout pendant votre visite ». Le manoir a perdu sa symétrie classique : un seul pavillon flanquant sa façade subsiste, une des deux ailes est réduite de moitié, le mur de clôture de sa cour a disparu ainsi que sa courtine d’entrée et son pont-levis. Mais en bon gentilhomme de bonne lignée, il garde toute sa prestance et toute l’élégance de son époque et c’est à son propriétaire qu’il le doit :
Manoir de Verdigné
Ce fut la demeure d’un chef calviniste qui mit à sac et brûla Le Mans et sa cathédrale au temps des guerres de religion. Le manoir en conserve une certaine raideur militaire : les douves très larges, les deux massives tours carrées encadrant la cour, et partout des meurtrières percées d’œilletons à mousquets. Malgré cette rigueur un peu janséniste avant l’heure, l’ensemble garde une grande douceur : il a dû y faire bon vivre…

Cette douceur, cette touche un peu féminine doit beaucoup au pavillon qui flanque la façade grâce à sa toiture « à l’impériale » nous dit Philippe Gagnot en évoquant le « Traité sur la manière de bâtir à petits frais  » de Philibert Delorme de 1561. Et je grimpe dans les combles de la tour pour voir de près cette «  charpente à petits bois » prônée par Philibert. Oui, je suis si enthousiaste que je me permets cette familiarité. Il faut dire que c’est impressionnant. Cela me rappelle le jeu de Mikado où un tas considérable de baguettes tient dans un équilibre qui semble dû à la magie et que l’on craint de rompre en en déplaçant une seule. C’est un spectacle en soi. Et les détails des longues chevilles pointues de châtaigniers, des mortaises et des entrecroisements conduit à s’interroger : faut-il être géomètre, ingénieur ou bricoleur pour arriver à cet assemblage si complexe si fragile d’aspect et pourtant si solide qu’il est capable de traverser les siècles ? Il paraît que cela s’appelle tout bonnement un charpentier :
Manoir de Verdigné
Et notre hôte nous engage à aller voir la galerie. Et là encore, un panneau de photos nous montre le chemin accompli : il y a seulement deux ans, c’était à ciel ouvert. Aujourd’hui, une charpente en berceau, de celle que l’on appelait à Avignon - ma ville - du temps de la construction du Palais des Papes, un tinnel, c’est-à-dire un tonneau… ce berceau, beige clair châtaignier, cerclé de lattes souples à intervalles réguliers, paraît beaucoup trop bas pour faire de ce lieu énigmatique la salle de jeu de paume que certains y voient. De même, les fenêtres très petites et trop peu nombreuses ne donnant qu’une lumière parcimonieuse en cette saison pour permettre la lecture « en marchant » que d’autres y supposent. D’autant que l’absence de cheminée devait faire de cet endroit superbe une glacière en hiver. Mais justement, il me paraît bon que certains lieux gardent leur mystère : cinq siècles nous séparent de ses promoteurs, nos habitudes, nos genres de vie sont si différents… pour jouer, la magie d’un lieu doit consentir sa part au mystère :
Manoir de Verdigné
Je redescends dans la salle de séjour pour contempler la grande cheminée que j’avais négligée pour la toiture… vraiment très grande pour la pièce : c’en est le point focal. Philippe Gagnot a disposé un panneau qui montre une des cheminées du château d’Anet, chef-d’œuvre de Ph. Delorme. Celle-ci en paraît la copie conforme, surtout pour la frise du manteau, telle que dessinée au Chapitre II du Traité ci-dessus et intitulé : « De certaines cheminées, tant pour leurs manteaux, corniches, frise, et architrave, que pour leurs pieds droicts  » :

Manoir de Verdigné

Et en prime, conformément à ce goût de l’époque si bien illustré par le sieur Montaigne dans sa librairie ou encore par le plafond du Plessis Bourré, une inscription philosophique court sur le sommet du manteau ; en respectant l’orthographe : « Au ce grand tort les hommes ont en haine la mort qui est guarison souveraine ».

Voici en deux photos cette sentence trop large pour être lisible en une seule fois :

Manoir de Verdigné
Manoir de Verdigné
On respire tout le parfum du Livre de la Sagesse, des Psaumes et des stoïciens… Quelle distance avec notre siècle… Il est vrai que le saccageur du Mans s’y connaissait en fins dernières.

Avant de partir, un dernier coup d’œil au pavillon au toit à « l’impériale » :
Manoir de Verdigné
Quelle élégance, quelle beauté : sans lui, le manoir ne serait pas ce qu’il est. Et nous partons en évoquant le culot et l’esprit d’aventure de Philippe Gagnot. Il faut être un véritable jeune homme un peu fou pour se risquer à l’insensée et si dispendieuse aventure d’un toit à l’impériale, sans parler du reste. Merci à vous Monsieur pour votre intrépide entreprise, si généreuse pour les générations futures qui, grâce à vous, pourront admirer ce vieux gentilhomme convalescent de la Renaissance qu’est le manoir de Verdigné.

François-Marie Legœuil, le 14 octobre 2022