Accueil

À chaque écrivain sa maison ?

Écrivain, écrivaine : Bien entendu, je refuse de féminiser les métiers ; bien entendu, je refuse aussi de sacrifier à l’écriture inclusive. Pour être complet et faire hurler des lobbies qui se reconnaîtront, je me réfère à la Bible (Le Livre par excellence) qui dit dans le deuxième récit de la Création : Dieu créa l’Homme à son image, il le créa mâle et femelle. Je traiterai donc des écrivains, qui par définition sont donc mâles ou femelles. Quid des fameux « neutres » ou autres « intersexes » ? J’attendrai encore deux siècles pour que la tradition les consacre « classiques » et je vous demanderais donc de patienter avec moi… Abordons enfin le sujet : qu’est-ce-qu’une Maison d’écrivain ?

Aujourd’hui - en l’an de grâce 2019 - deux labels se partagent les appellations :
Un label « privé » : « Maison d’écrivain » décerné par la Fédération des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires et qui a «  pour objet de proposer et de mettre en oeuvre des actions visant à assurer l’existence, la préservation et le rayonnement culturel de maisons d’écrivain, de lieux ou collections, publics ou privés, liés à des écrivains et à l’oeuvre écrite d’hommes célèbres de toutes cultures.  »

Et un label public « Maisons des Illustres » qui « signale des lieux dont la vocation est de conserver et transmettre la mémoire de femmes et d’hommes qui se sont illustrés dans l’histoire politique, sociale et culturelle de la France. Le label est attribué par le ministère de la Culture pour une durée de 5 ans renouvelable.  » La notion d’Illustre serait elle donc si précaire ?

Disons tout de suite qu’un label, fut-il des Illustres n’est pas la garantie d’une rencontre avec l’écrivain. Pour qu’il y aie rencontre, il faut que les lieux dégagent une atmosphère, soient littéralement hantés par un fantôme… Pour moi, ce fut le cas en 2016 de la maison école de René Guy Cadou à Louisfert où l’instituteur poète imprégnait encore les murs et les meubles. À la sortie j’ai eu l’impression d’avoir personnellement connu René Guy. Ce fut aussi le cas de Mauriac à Malagar ou de Colette à Saint-Sauveur-en-Puysaye, ou encore de Martin-du-Gard au Château du Tertre… leurs Ombres, comme Eurydice et Orphée dans les Enfers grecs, habitaient encore les lieux d’une existence estompée mais réelle…

Comme le débat n’existe plus, ni du reste la conversation, il ne me reste plus pour terminer, qu’à lancer « la polémique » comme on dit à la Télé. Je vais me faire aider par les propos tenus par Julien Gracq sur les maisons d’écrivains dans une interviewe donnée en 2001 au numéro 10 de la Revue Jules Verne et qui explique bien les raisons de la déception que j’ai éprouvée à la visite de sa propre maison à St-Florent-le-Vieil :

« L’Écrivain et sa maison »
— (Question) Passons à autre chose, si vous voulez une question tout à fait différente mais qui a trait au merveilleux, plus précisément à la capacité à faire rêver, à favoriser une imagination. Le Centre international Jules-Verne qui édite la Revue Jules Verne anime aussi la Maison où Jules Verne a vécu à Amiens. Pourriez-vous me dire ce qu’évoque pour vous une maison d’écrivain ?

— (Gracq) Je suis un peu désenchanté toujours, dans le peu d’expérience que j’en ai, par ces visites de maisons d’écrivain. Une espèce de contamination muséale se répand partout, c’est le musée qui prend possession de la vie privée, après la mort. C’est désolant quelquefois de voir la pièce à vivre, par exemple, avec ses meubles, ses tapis... et puis le petit cordon rouge qui empêche de passer... La vie est partie, impossible de la faire revenir. J’avoue que je n’ai pas la superstition de ces lieux jadis habités. Chaque fois que j’en ai vu, j’ai été déçu, je n’en ai pas visité beaucoup, d’ailleurs, parce que cela ne m’inspire guère... j’en ai parlé quelquefois dans les Carnets du grand chemin Qu’est-ce que j’ai vu ?... Rimbaud... Rimbaud... Il n’y a plus rien... Il y a Roche tout de même, l’endroit où il a vécu, ce n’est plus une maison, c’est un lieu... un lieu sinistre... une espèce de lavoir, dans une campagne morne... Qu’est-ce que j’ai vu encore ?...
La maison de Lamartine, à Milly, j’en parle aussi... une maison de notaire... c’est désenchantant, on n’y retrouve pas du tout le poète. Mais il y a le cas, exceptionnel, où l’écrivain a mis absolument sa marque sur tout. Par exemple la maison de Hugo à Guernesey, ou de Loti à Rochefort. Hugo s’est matérialisé dans sa maison, c’est une réussite, c’est un peu fou mais c’est grandiose... Mais c’est rare : il n’y a pas tellement d’écrivains qui mettent du génie dans leur vie domestique. Je serais surpris que Jules Verne soit dans ce cas... Je crois que la maison de Mauriac à Malagar fait de l’effet... Mais en général, on a envie de dire, après de telles visites, ce que disait Giraudoux à l’enterrement de je ne sais plus quel écrivain : « Allons nous-en, il n’est pas venu. »

— (Question) Vous parlez de Malagar, mais Malagar c’est autre chose, le cadre est celui d’un domaine viticole, une grande maison campagnarde. Elle semble vivante encore, comme une maison de famille d’avant 1940, telle qu’on en voit parfois, avec le papier peint d’il y a cinquante ans Ce qui m’intéresse dans les maisons d’écrivain, ce n’est pas tant la restitution d’une époque que de savoir comment la perception matérielle d’un écrivain peut participer à redonner sens à la littérature La table de travail de Jules Verne est très simple et son mobilier bourgeois d’époque est très anonyme, pour ce qu’il en reste, tout du moins ; de toute évidence, il devait laisser le soin domestique à son épouse Mais cette maison de style Louis-Philippe, cossue, son quartier d’Henriville, sont aussi le point de départ d’une perception concrète de l’écrivain. Je n’entends pas la maison d’écrivain comme un musée, mais plutôt comme un lieu de passage, un lieu d’échange, de rencontre entre un écrivain, son Œuvre, son époque et ce que nous sommes aujourd’hui. Elle intervient dans la réception d’une œuvre littéraire. La maison où un écrivain a vécu devrait apporter autre chose à quelqu’un qui vient la visiter, qui est poussé par une certaine ferveur, ou par la curiosité. Certes elle présente des objets, des images qui parlent de l’écrivain, mais c’est, ou ce devrait être, pour reconduire vers la lecture, vers l’imaginaire littéraire.

— (Gracq) Ce serait intéressant, mais je ne sais pas... cela ne s’est jamais produit... Une maison d’écrivain n’est guère conviviale. Une maison de peintre le serait peut-être davantage, surtout avec des tableaux accrochés au mur. Un écrivain ne dispose pas de ces signes de bienvenue... Je ne suis pas très attiré par ces visites funéraires. »

Pour finir ou plutôt commencer, n’oublions jamais qu’une maison d’écrivain est aussi un haut lieu touristique et comme tel, soumis aux lois du genre. Dont la première est l’objet dérivé. Par exemple, en voici un specimen que j’ai rencontré en 2014 sur le trottoir de la maison de Rimbaud à Charleville-Mézières. Une chaise métallique, sur le siège de laquelle était gravé ce vers tiré de « L’Homme Juste  » de Rimbaud :

«  Ô justes, nous chierons dans vos ventres de grès ! »

Auquel, l’artiste belge Jan-Pierre Verheggen réponds :
« Oui, cher Arthur, chions par notre commun trou de verdeur, sur tous ces bons qu’à fric ! »

rimbaud

Cher " bon qu’à fric " Vous ne quitterez pas cette boutique de musée sans acheter ce très élégant "objet dérivé" qui procurera quelque argent à cet artiste qui vous chie dessus, et je vous souhaite une bonnes visite.

François-Marie Legœuil