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Sur le camino francés
Le pendu dépendu

En août dernier, je suis allé faire le tour d’une dizaine de ravissantes chapelles et églises du Bourbonnais, dans des villages splendides et dont on vient de restaurer les fresques. Je vous recommande ce circuit « La Route des églises peintes du Bourbonnais » je vous donne à la fin de cette chronique son adresse internet pour plus de renseignements.

Dans l’église du Saulcet, (tout près de Vichy) sur le mur du bas côté face à l’entrée, sont peints trois panneaux d’un dessin très simple - presque l’esquisse d’une bande dessinée - qui m’ont intrigué.

Sur un petit carton encadré, le curé explique qu’il s’agit de la légende du « pendu dépendu ». Voici son petit texte :

« En 1130, Hugonel, jeune pèlerin germanique en route avec ses parents vers Saint-Jacques-de-Compostelle, passa la nuit dans une auberge de Santo Domingo de la Calzada. Une jeune servante lui fit des avances, qu’il repoussa. Éconduite, elle cacha dans son bagage de la vaisselle d’argent. Au moment du départ, elle l’accusa du vol du plat. Il fut condamné et pendu pour ce vol qu’il n’avait pas commis. Les parents éplorés continuèrent leur pèlerinage et prièrent saint Jacques. À leur retour de Compostelle, ils entendirent leur fils pendu dire du haut du gibet qu’il vivait, car saint Jacques le protégeait. Émerveillés, ils s’adressèrent au juge qui était à table et dégustait un coq et une poule rôtis. Le juge leur répondit avec ironie : « Si votre fils est vivant, cette poule et ce coq se mettront à chanter dans mon assiette. » Ce qu’il advint : le coq chanta et la poule caqueta. L’alcalde bouleversé ordonna de dépendre le jeune homme et de pendre à sa place la fautive. »

Voici de plus près cette fresque, ou ce qu’il en reste. À gauche la famille du pendu au pied du gibet et le pendu à droite. Mais où est donc passé le père ? Je ne vois que la mère et quatre filles qui regardent le fils pendu. Que des femmes, un père absent, un fils pendu, sans doute quelques bourreaux... serait-ce un récit genré avant l’heure ? Navré de décevoir #metoo, la peinture est simplement très incomplète :

Ensuite, on voit le fils pendu. On l’a représenté tout petit pour mettre en valeur le grand saint Jacques lui-même - ici vraiment grand - reconnaissable à son auréole dorée que la longue suite des siècles a brunie. Le saint tend les bras et soutient les pieds du pendu pour que la corde ne l’étrangle pas... Méditez, ô mes lecteurs ! Les deux protagonistes ont réussi à tenir cette situation très inconfortable suffisamment longtemps pour permettre aux parents d’aller implorer le saint chez lui à Saint-Jacques de Compostelle et en revenir...même en se pressant, cinq bons mois de voyage à l’époque...

Regardant ces photos à mon retour, je me suis souvenu d’avoir déjà entendu parler de cette légende. J’ai mis longtemps à m’en souvenir, quinze ans déjà ! C’était dans les Hautes-Alpes, dans un minuscule village - Prelles - une chapelle rectangulaire, éblouissante, entièrement peinte, la chapelle Saint-Jacques :

Je ressors mes milliers de photos du fond des Gicas octets de mon disque dur : Banco ! j’ai bien photographié cette scène : sur l’un des murs de Prelles, c’est bien l’histoire du « pendu dépendu » mais ici, la peinture est en bon état et la maîtrise du peintre sans commune mesure avec les dessins du Saulcet.

Voici donc ces fresques de Prelles nous contant plus pleinement cette passionnante histoire de "pendu dépendu". Des pèlerins - le père, la mère et le fils, en route pour Compostelle arrivent un soir à l’auberge. La route a été longue, ils ont soif, la servante leur offre le verre de bienvenue :

Les parents dînent, tandis que la servante, une fille lubrique, attire l’innocent jeune homme au milieu des tonneaux de la cave pour lui conter fleurettes et l’enivrer. Mais ce bon garçon refuse les avances de la tentatrice, tourne la tête et la repousse de son bras droit. Parents, prenez de la graine, vous avez devant les yeux les bons fruits d’une bonne éducation ! :

Les parents dorment dans une chambre, tandis que dans l’autre, le fils dort aussi du sommeil du juste. Ils portent tous un bonnet de nuit, la couverture est remontée jusqu’aux mentons, c’est en montagne, les nuits sont fraîches même en été et le chauffage à l’époque quasi inexistant. La servante est non seulement lubrique mais aussi perfide : elle entre sur la pointe des pieds, et pour se venger d’avoir été repoussée, elle cache de la vaisselle précieuse sous le lit pour faire passer le damoiseau pour un voleur :

À l’époque la justice est rapide, le fils est arrêté, condamné et exécuté en un tour de main. On le voit les mains liées, la tête baissée, les yeux fermés sur les larmes... le bourreau vêtu de rouge le tire par la corde tandis qu’il brandit l’assiette d’argent preuve du vol qu’il montre à la foule... trois gendarmes en armures portant des piques l’accompagnent et l’un deux, au regard acéré, repousse de la main sans brutalité le père éploré qui supplie les mains jointes :

Je propose que l’on montre cette séquence au Garde des Sceaux pour nourrir sa réflexion sur sa réforme de la justice : rapidité exemplaire, peine exécutée sans sursis ni rappels à la loi.

Le panneau suivant est très abîmé, on ne voit que les visages des deux parents que l’on suppose à genoux, les mains jointes priant, je pense, le bon saint Jacques d’accueillir en Paradis leur fils innocent et, hélas ! néanmoins pendu...

Le panneau suivant est également abimé. Mais on peut reconstituer la scène très facilement. À gauche, le seigneur est à table, assis sur son fauteuil dont on devine le dossier de fer et les accoudoirs . Son bras posé sur une table basse sur laquelle est posé un gobelet de vin ; une petite lanterne éclaire son repas... à droite le père et la mère demandent au seigneur de pouvoir dépendre leur fils et l’enterrer. Heureusement que nous sommes passés d’abord au Saulcet, car nous connaissons la suite grâce au petit carton du prévoyant Curé : le seigneur refuse disant « OK, mais pas avant que le coq et la poule de mon festin ne ressuscitent et que leur plume ne repoussent ».. La peinture confirme ce récit : nous voyons clairement les deux volailles, ressuscitées bien que cuites et désormais très emplumées qui chantent perchées sur les fers du condamné. Au Saulcet, c’étaient un coq et une poule, ici, si je regarde bien ce sont deux coqs. On reconnait là l’artiste : le peintre de Prelles a choisi des coqs qui ont bien plus de tenue, de couleurs et de prestance que des poules, les Peaux rouge qui mettent des plumes dans leur chignons vous le confirmeront : ils n’utilisent que des plumes de coq !

Dernier panneau : la mère est à genoux, au pied de la potence dont il ne reste que quelques barreaux de l’échelle qui permettait d’y monter... Elle tend les bras pour accueillir son fils bien aimé dont seules sont visibles à partir du genou les jambes qui descendent l’échelle. Ces simples morceaux choisis permettent de faire galoper notre imagination et de deviner toute l’émotion de la scène :

N’oublions pas de remercier Saint Jacques, patron de cette chapelle pour son intervention ressuscitante !

Soit l’histoire peinte s’arrête là, sans que la servante ne soit punie ni pendue, soit le panneau a disparu, soit je ne l’ai pas pris en photo. Si vous allez là-bas voir par vous-mêmes, n’oubliez pas de me tenir au courant : la servante a-t-elle oui ou non, été condamnée ? C’est capital : une histoire pareille ne peut s’achever sans une morale !

Mais où donc s’est passée cette affaire juridico-religieuse ?
Tout bonnement sur le camino frances du Chemin de saint Jacques, de l’autre côté des Pyrénées à Santo Domingo de la Calzada. En arrivant dans la cathédrale du village, les pèlerins rendaient visite au fameux retable-poulailler :
Et les pèlerins chantaient - je pense qu’étant sur les chemins par tous les temps depuis des mois, ils devaient plutôt gueuler d’une voix enrouée - cette hymne à saint Jacques :
"Quand nous fûmes à Saint-Dominique
Hélas ! mon Dieu !
Nous entrâmes dedans l’église
Pour prier Dieu
Le miracle du pèlerin
Par notre adresse
Avons ouï le coq chanter
Dont nous fûmes bien aise"

Précisons qu’il s’agit du septième miracle de saint Jacques de Compostelle raconté dans le Liber Sancti Jacobi, tome Codex Calextinus (Pape Calixte II 1060-1124)... Ce codex a été volé en 2011 et retrouvé en 2012 dans le garage du sacristain de la cathédrale... Dommage que nous soyons au XXIe siècle, car j’aurais bien aimé que le sacristain fut pendu pour voir la suite des évènements...

Pour mes lecteurs - gens distingués s’il en est ! - qui je le sais, en veulent toujours plus, on ne peut éviter de faire appel à Jacques de Voragine et à sa « Légende dorée ». Car en matière de saints, de miracles et d’auréoles, c’est lui le meilleur, il n’a pas été surpassé depuis 1261, c’est dire !

Et voici le récit qu’il tire du fameux codex dérobé puis retrouvé :
"D’après le pape Calixte II, un Allemand allant avec son fils à Saint-Jacques vers l’an 1090 s’arrêta pour se loger à Toulouse chez un hôte qui l’enivra et cacha une coupe d’argent dans sa malle. Quand ils furent repartis le lendemain, l’hôte les poursuivit comme des voleurs et les accusa d’avoir volé la coupe. On ouvrit la malle et trouva l’objet. On les traîna sans délai chez le juge. Il y eut un jugement qui prononçait que tout leur avoir fût adjugé à l’hôte, et que l’un d’eux serait pendu. Mais comme le père voulait mourir à la place du fils et le fils à la place du père, le fils fut pendu et le père continua, tout chagrin, sa route vers Saint-Jacques. Or, vingt-six jours après, il revint et s’arrêta près du corps de son fils. Il poussa des cris de lamentation quand son fils attaché à la potence, se mit à le consoler en disant : « Très doux père, ne pleure pas, car je n’ai jamais été aussi bien. Jusqu’à ce jour, saint Jacques m’a sustenté et il me restaure d’une douceur céleste ». En entendant cela, le père courut à la ville, le peuple vint, détacha le fils du pèlerin qui était sain et sauf, et pendit l’hôte"

Avec Callixte et Voragine, le récit est plus Cornélien avec ce père et ce fils qui se disputent pour être pendus... Mais c’est vrai que nous sommes ici dans une cathédrale avec Calixte un Pape et dans un récit écrit par Jacques de Voragine un Archevêque.
Tandis qu’à Prelles et au Saulcet, petits hameaux de campagne, nous sommes dans la bande dessinée, tout un récit plus pittoresque avec un jeune homme godiche, une servante - Ah, les femmes ! - délurée ivrognesse et libertine, nous sommes en plein romantisme passionnel comme dans les fabliaux médiévaux... Pour ma part, je choisis la bande dessinée de Prelles.

Amis pèlerins textuels, il est temps de se séparer car si je n’ai pas entendu le coq du voisin chanter, j’entends l’Angélus sonner au clocher mitoyen de ma maison et je dois allumer sous ma soupe...

Voici la Route des églises peintes du Bourbonnais :
Cliquez sur ce lien :

https://www.allier-auvergne-tourisme.com/culture-patrimoine/art-roman-et-religieux/la-route-des-eglises-peintes-184-1.html