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Richelieu
L’épée, la mitre, le chapeau, l’argent, la plume :
Un destin fulgurant à l’âge baroque

INTRODUCTION
J.L. Bénel m’avait demandé un sujet historique. Je ne pouvais choisir un sujet d’Histoire relatif à Nîmes, car c’est vous qui en êtes les spécialistes. Mais il me fallait quelqu’un qui avait quand même un rapport avec Nîmes… un peu comme moi né de l’autre côté du pont de Vierne, rue Adrien, mais qui n’ai jamais vécu à Nîmes… Il m’est alors revenu un très vieux souvenir : il y a 30 ans, je passais quelques jours de vacances du côté de Langogne à La Bastide et dans un des hameaux très reculés de ce village, je considérais les quatre ou cinq maisons, bien bâties, en bonne pierre et visiblement du XVIIe qui m’intriguaient. Un curé sort de nulle part… c’était au bon vieux temps où il y avait toujours un curé pouvant sortir de nulle part... à qui je fis part de mon étonnement. Et il me raconta que lorsque Louis XIII signa la Paix de Montpellier le 18 octobre 1622, on envoya dans toutes les Cévennes des crieurs chargés de proclamer cette excellente nouvelle : les bourgeois des villes huguenotes sont condamnés à payer en bons et loyaux écus royaux la démolition de leurs remparts, dont ceux de Nîmes. On remit cela en 1629. Des hordes de jeunes et solides va-nu-pieds descendirent en masse de leurs montagnes Cévenoles et s’en revinrent au pays avec des salaires qui, dans ces endroits délaissés (c’est le Parisien qui parle), passent pour des fortunes et s’en servirent pour rebâtir leurs maisons en dur. J’avais – grâce à ce curé - trouvé mon sujet… ce serait Richelieu : un personnage qui avait un peu séjourné à Nîmes ou à côté à deux reprises et y avait laissé un souvenir marquant pour ne pas dire cuisant.

Vous n’attendez pas un cours d’Histoire de ma part, sinon vous auriez choisi un historien. N’étant qu’un amateur, je m’en vais simplement éclairer quelques-unes des facettes qui m’ont fasciné dans ce personnage si caractéristique de cette époque que l’on qualifie habituellement de baroque et qui va en gros du sacre d’Henri IV (1594) à la prise de pouvoir de Louis XIV à la mort de Mazarin en 1661. Toute cette époque est une époque très troublée, dominée par de puissantes personnalités et par deux périodes de régence : Henri IV, puis la Régence de cette forte femme que fut Marie de Médicis, un duo d’exception avec Louis XIII et Richelieu, puis à nouveau une Régence, celle de Anne d’Autriche avec le cardinal Mazarin au pouvoir que Richelieu avait pris à son service avant sa mort. Notre personnage de ce soir occupe le mitan de cette période : je rappelle que Richelieu naît en 1585 et meurt en 1642 et que Louis XIII né en 1601, meurt l’année suivant son ministre en 1643.

Avec Richelieu, nous allons évoquer un personnage dont la personnalité et la vie illustrent le gouffre qui sépare notre siècle de l’époque baroque et l’abîme qui sépare notre mentalité de celle des hommes et des femmes de ces temps préclassiques.
Dans un siècle comme le nôtre, où l’on pratique systématiquement l’anachronisme en voulant à tout prix juger l’Histoire selon nos critères actuels et soupeser leurs acteurs à l’aune de nos morales, il est particulièrement décapant de jeter un œil sur ces temps baroques tout en laissant nos préjugés au parking où nous avons laissé nos voitures.

Ce soir, nous n’allons pas suivre un plan rigoureux. Je vous propose seulement de gambader dans la vie de Richelieu, de flâner dans cette époque baroque, non pas en suivant une ligne droite chronologique, mais au contraire sur ces « chemins aux sentiers qui bifurquent » qui étaient si chers à Jorge Luis Borges.

I. Évoquer Richelieu, c’est emprunter un chemin qui traverse la majeure partie de l’époque baroque.

On qualifie cette époque de baroque. Baroque, on peut donner la définition suivante : « une esthétique caractérisée par le mouvement, la profusion, la tension, le bouillonnement et la recherche permanente de la liberté, de la grandeur et du panache. » L’époque exprime bien tous ces qualificatifs que nous verrons sans cesse revenir dans notre causerie.

À cette époque, on a l’impression que tout est théâtre, que tout est mis en scène, même les choses les plus sérieuses, même les choses les plus sacrées.

Quoi de plus sacré qu’une église ? Surtout à l’époque. Eh bien, prenons un exemple local : la chapelle des Pénitents blancs de Valréas, la fameuse « enclave des Papes » dans le Vaucluse : Comme on le voit sur cette photo, on entre dans cette longue salle rectangulaire au décor exubérant. Au bout, le maître autel, zone centrale du Mystère Eucharistique traité comme un plateau de théâtre : une grille (la table de communion) – sorte de fosse d’orchestre - sépare l’espace ; ensuite, trois marches accèdent au maître autel surélevé. La cloche vient de sonner annonçant le divin Mystère Eucharistique ; deux anges ont ouvert le rideau rouge qui descend du plafond sur l’autel et le tabernacle ; au-dessus de l’autel, une gloire dorée jette un flot de lumière sur la scène. C’est une tragédie qui va se jouer. Le programme vous est clairement annoncé : cela se passe au Ciel, le décor peint sur le fond tout autour de l’autel c’est un ciel nocturne azuréen étoilé d’or. Il y aura le sacrifice et la mort vous indique le grand crucifix posé sur le sol à droite ; il y aura la Résurrection et la compassion comme le montre au plafond le cœur rouge transpercé surmonté d’un dais d’or. La Messe peut commencer… lorsque le Sacrifice est accompli, lorsque le rideau va tomber sur l’autel, vous vous retournez pour sortir : la porte qui donne sur l’extérieur est encadrée elle aussi d’un double rideau rouge. Les rideaux sont tenus par des embrasses, il n’y a pas d’anges pour les entrouvrir : car vous quittez le théâtre du Ciel pour entrer dans le vaste théâtre du monde. La porte éblouissante de lumière montre que le monde n’est que tentation de Lucifer le porteur de Lumière… et pourtant, au-dessus de la porte, le sévère crucifix et le tableau du Christ mort vous rappellent les Paroles de l’Ecclésiaste : Vanitas, Vanitatis, tout n’est que vanité ici-bas.

Dans cette chapelle, on est bien sur la scène d’une tragédie de Shakespeare qui faisait dire à Macbeth en 1605 :
« La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »

Une esthétique de « grandeur, de tension, de bouillonnement, de panache » cela ne vous rappelle rien ? Le Corneille de vos études ? Le Cid et le conflit un brin emphatique entre l’honneur et le devoir filial d’une part et l’amour d’autre part. Rappelez-vous ces vers fameux, Acte I scène VI qui exposent le fond du problème : le Comte – père de Chimène- vient de souffleter Don Diègue père de Rodrigue. Don Diègue trop vieux vient de demander à son fils de le venger. Rodrigue, fiancé de Chimène expose ainsi son dilemme :

Contre mon propre honneur, mon amour s’intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse.
L’un m’anime le cœur l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.

Nous reparlerons plus loin de la fameuse Querelle du CID qui agita Paris en 1637. La tragédie, c’est bien la grande affaire de l’époque !

C’est aussi la leçon du bon La Fontaine, comme il l’écrit dans sa Fable « Mercure et le Bûcheron » :

« C’est une ample comédie à cent actes divers
Et dont la scène est l’Univers… »

L’époque où vivait notre Cardinal est bien un théâtre, tragique bien sûr, une époque où la vie et la mort sont mises en scène avec une recherche du panache qui frôle l’emphase, la grandiloquence, l’enflure même.

Prenons un exemple, célèbre qui frappa les contemporains : le complot de De Thou et de Cinq-Mars :

Nous sommes en 1642 : dans un an, Richelieu, Marie de Médicis et Louis XIII seront morts.
Deux jeunes hommes, Jacques Auguste De Thou 38 ans, Conseiller d’État, Maître de la Librairie, favori de Gaston d’Orléans frère du Roi et Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat marquis de Cinq-Mars 22 ans, favoris du Roi ; on l’appelait « Monsieur Grand », car il était Grand Écuyer de France. Ces deux hommes, riches, puissants, au sommet de la pyramide sociale ourdissent avec Gaston Duc d’Orléans, frère du Roi, un complot pour abattre Richelieu. Pour perdre le Cardinal dans l’esprit du Roi, ils signent un Traité secret avec l’ennemi juré de la France, la Cour d’Espagne. Trahison et lèse-majesté. Démasqués, ils sont condamnés à mort, et décapités sur la Place des Terreaux à Lyon le 12 septembre 1642.

Le récit du procès et du supplice exprime la quintessence de l’esprit baroque où la mort est le prix à payer pour la recherche effrénée de la liberté. Liberté des Grands contre l’absolutisme royal en train de se mettre en place.

Premier Acte : La scène s’ouvre sur le château de Tarascon. Louis XIII et le Cardinal y sont tous deux malades et alités et communiquent par messagers. Ils sont au plus mal : Richelieu mourra trois mois plus tard et le Roi le suivra peu après. Comme dans un vaudeville, le 11 juin 1642, le Cardinal reçoit une copie du Traité des conjurés. C’est la Reine Anne d’Autriche la femme de Louis XIII – princesse espagnole - qui en aurait reçu l’information de la Cour d’Espagne. Le procès aura lieu à Lyon.

Acte 2 :
Le Cardinal remonte le Rhône en bateau halé par des bœufs. Cet équipage remorque une barque avec de Thou gardé par des Mousquetaires. Cinq-Mars, quant à lui, après avoir fait une tentative d’évasion, est transféré à Lyon en carrosse escorté par 600 gardes à cheval.

Acte 3 Procès et sentence.
Après la lecture de la sentence, les deux condamnés se confessent pendant une heure chacun, puis De Thou demande de l’encre et du papier et rédige un legs de 300 livres pour construire une chapelle dans l’église des Cordeliers de Tarascon pour rappeler qu’il y avait fait dans la un vœu pour sa délivrance et il en rédige ainsi l’inscription :
« Au Christ Libérateur, selon le vœu fait pour être libéré de prison, je m’en acquitte le 12 septembre 1642 au moment d’être libéré de la prison de la vie, je crois en toi Seigneur qui m’a exaucé… » (selon ma traduction très libre…) Ce monsieur ne manque pas d’humour.

Pendant ce temps, les deux condamnés échangent entre eux ou avec leurs confesseurs jésuites des sentences en latin tirées des évangiles ou des poètes. Un exemple : de Thou un peu amer, explique à son confesseur que favori du Roi, il s’était fait d’excellents amis dont il n’a plus entendu parler depuis son arrestation, et le Jésuite lui répond en citant Ovide :

« Heureux, vous trouverez des amitiés nombreuses,
Si le temps se couvre, vous serez seul. »

Ce que Rutebeuf avait traduit ainsi :

« Ce sont amis que vent emporte
Or il ventait devant ma porte
Les emporta…
 »

Comme dans les Stances du Cid dont on vient de parler, Cinq-Mars et de Thou délibèrent pour savoir qui serait le premier à mourir : Cinq-Mars réclame de mourir en premier, car il était le plus coupable, notamment d’avoir poussé son ami à le rejoindre dans ce complot ; De Thou estime qu’en tant qu’aîné, la première place lui revient de droit… Le Jésuite trancha à la jésuite : de Thou en tant qu’aîné se devait être le plus généreux et donc il devait arrêter de disputer la préséance à Cinq-Mars. De Thou accepta ce jugement à la Salomon en disant à Cinq-Mars : « Bien, Monsieur, vous voulez m’ouvrir le chemin à la gloire. » Puis ils montèrent dans le carrosse.

…De Thou, fort civil, déclare à ses gardes : « Messieurs, quel excès de bonté de nous conduire à la mort en carrosse, nous qui méritons d’être charriés sur un tombereau ou d’être traînés sur une claie. »
Parvenus sur le lieu de l’exécution Cinq-Mars et de Thou font « un beau compliment à leurs juges », et saluent la foule, qui se presse « devant le palais, aux fenêtres et sur les toits des maisons ».
Cinq-Mars entreprend de monter l’échelle de l’échafaud « avec une adresse et une gaieté majestueuse » lorsqu’un archer lui enlève son chapeau. Cinq-Mars proteste, le prévôt réprimande l’archer et lui remet son chapeau. Prenant pied sur l’estrade, il « se met en une bonne posture, ayant avancé un pied et mis la main au côté, il considéra haut et bas cette vaste assemblée d’un visage assuré et avec un beau maintien ,[fait] un autre tour et saluant de tous cotés le peuple, fort profondément, et avec des souris et une douceur charmante ». Il salua son confesseur… l’embrassa… »

Alfred de Vigny dans son Cinq-Mars ou une conjuration sous Louis XIII ajoute :
En ce moment, une voix claire et pure comme celle d’un ange entonna l’Ave, maris Stella. Dans le silence universel, je reconnus la voix de M. de Thou, qui attendait au pied de l’échafaud. »
Les habits font partie de la mise en scène. Cinq-Mars porte « un manteau d’écarlate » couvert de « galons d’argent avec de gros boutons ». En dessous, on peut voir « son habit couleur de mûre », avec « des dentelles d’or », et des « bas de soie verte ».

Une famille royale elle aussi très théâtrale avec, comme dans les meilleures comédies, le Cardinal comme deus ex machina toujours en coulisse…
Avec cette famille royale si peu banale, on assiste à une véritable saga qui durera vingt ans. Nous sommes en plein feuilleton… Il suffit de se souvenir que trois siècles plus tard, cette famille et ses démêlés fourniront la matière hautement romanesque de ces volumes d’Alexandre Dumas qui régalèrent notre jeunesse : Les Trois Mousquetaires, Vingt après, le Vicomte de Bragelonne, etc.

La Reine mère, Marie de Médicis (1575 /1642 fille du Grand-duc de Toscane) était venue d’Italie pour épouser Henri IV qui rappelons-le avait fait annuler son mariage avec celle que l’on surnomme la Reine Margot, Margueritte de Valois fille de Henri II sœur d’Henri III). La Médicis était donc venue d’Italie, avec toute sa cour, c’est-à-dire son entourage italien comme c’était alors la coutume.
Voici le portrait qu’en fait Michelet au tome XI de son Histoire de France :« Marie de Médicis, qui avait vingt-sept ans quand Henri IV l’épousa (1600), était une grande et grosse femme, fort blanche, qui, sauf de gros bras, une belle gorge, n’avait rien que de vulgaire. Sa taille élevée ne l’empêchait pas d’être fort bourgeoise et la digne fille des bons marchands ses aïeux… D’italien, elle n’avait que la langue ; de goût, de mœurs et d’habitude, elle était Espagnole ; de corps, Autrichienne et Flamande… Flamande par son grand-père, l’empereur Ferdinand, frère de Charles-Quint. Donc, cousine de Philippe II, de Philippe III, de ces rois blêmes et blondasses, aux yeux de faïence, tristes personnages que Titien et Vélasquez gardent encore sur leurs toiles dans toute la triste vérité ». Je pense que Michelet a fait cette description à partir du portrait fait Rubens en 1622… elle avait 47 ans…

Devenue veuve d’Henri IV, le Dauphin étant mineur, elle exerce la Régence assistée de son compatriote Concino Concini qu’elle a fait Maréchal d’Ancre et qui a épousé La Caligaï sœur de lait de Marie de Médicis. On l’appelait La Caligaï car c’était la fille d’un menuisier florentin et d’une blanchisseuse.

C’est son fils, Louis XIII, qui, devenu majeur, et pour accéder au pouvoir, sur les conseils du duc de Luynes son favori fait assassiner le ministre et le favori de sa mère Concino Concini au guichet du Louvre par le capitaine de ses gardes le baron de Vitry le 24 avril 1617. Puis il fera juger la Caligaï « pour « juiverie » (sorcellerie) : elle sera décapitée et brûlée en Place de Grève. Cela aurait pu fournir une analyse passionnante pour notre ami Freud !

La Reine mère est alors exilée à Blois le 3 mai 1617. En 1619, elle s’en évade en descendant sur une échelle de corde le rempart de 40 mètres : elle a 42 ans. Elle se réfugie à Angoulême où elle lève une armée pour imposer sa volonté à son fils. Richelieu, alors ministre de la Reine mère, fait la paix avec le Roi qui commencera ainsi à l’apprécier… Elle lève alors une nouvelle armée avec Gaston duc d’Orléans son second fils, le petit dernier (ensuite il y aura une sœur), son fils préféré, et c’est la guerre qu’on a appelée « Guerre de la mère et du fils. » Ses troupes seront battues aux Ponts-de-Cé dans la banlieue d’Angers, et le Roi pardonnera à tous grâce, encore, à l’entremise de Richelieu qui obtiendra même en 1622 le retour de la Reine au Conseil du Roi. C’est de cette façon, en proposant ses solutions dans les rapports de la mère et du fils, que Richelieu se fera remarquer de Louis XIII qui le fera entrer à son Conseil en 1624…

Le frère du Roi, Gaston duc d’Orléans.
C’était un vrai personnage de théâtre, section comédie… dont on vient de voir le rôle dans la guerre de la mère et du fils. Il fut de toutes les conspirations contre Louis XIII ou Richelieu, mais Prince du Sang, héritier potentiel de la Couronne, ses peines les plus lourdes furent ses exils alors que tous ses complices qu’il laissa toujours tomber sans exception, furent décapités…

L’affaire de son mariage est en elle-même une tragi-comédie : Henri IV avait prévu que son fils Gaston épouserait à sa majorité Mlle de Montpensier, princesse de sang, fille du duc Henri de Bourbon. C’était une affaire politique puisque Gaston pouvait devenir Roi si son frère n’avait pas d’héritier. Lorsque ce mariage fut d’actualité en 1625, voilà Gaston amoureux de la duchesse de Chevreuse qui est du parti des Guises et des Luynes très opposés à Richelieu ; il ne veut plus de Mlle de Montpensier. Son opinion rassemble les mécontents qui forment le « parti de l’aversion au mariage ». L’opinion s’enflamme et Richelieu le 4 mai 1626 fait arrêter le Maréchal d’Ornano, ami et ex-précepteur de Gaston.

Et comme avec Gaston tout finit en complot, il rejoint Henri de Talleyrand-Périgord comte de Chalais qui se propose d’assassiner Richelieu lors du dîner du lendemain au château de Fleury-en-Bière près de Fontainebleau où réside le Cardinal. Celui-ci va assister au lever de Gaston, lui présente sa chemise et lui reproche de ne pas l’avoir prévenu qu’il s’était invité à souper chez lui. Gaston comprend qu’il est découvert, aussitôt il charge les conjurés… et surtout leur chef, Henri de Talleyrand-Périgord comte de Chalais.

Challais « est condamné à avoir la tête tranchée en la Place du Bouffau à Nantes, sa tête mise au bout d’une pique sur la Porte de Sauvetou, son corps mis en quatre quartiers, chaque quartier attaché à des potences aux quatre principales avenues de la ville et auparavant l’exécution mis à la torture, ses biens confisqués, sa postérité déchue de noblesse » Louis XIII fait grâce de toutes les peines sauf la mort. Pour empêcher l’exécution, la famille Chalais fait disparaître le bourreau. On le remplace par un condamné à mort qui à l’aide d’une doloire de tonnelier s’y prend à 36 reprises pour trancher la tête. Quant à Gaston, pour le calmer et lui faire avaler la pilule de son mariage, Michelet dira que Richelieu « l’a étouffé dans l’or » : on lui donne en apanage les duchés d’Orléans et de Chartres, le Comté de Blois et une énorme pension annuelle. Et le 5 août, le Cardinal célèbre à Nantes – lieu de l’exécution de Chalais, l’ami de Gaston- le mariage de Gaston d’Orléans et de Marie de Bourbon duchesse de Montpensier… Ainsi était Richelieu…

Mais il sera dit que les mariages de Gaston seront toujours des vaudevilles. Car Gaston devenu veuf de la Montpensier en 1627, Gaston toujours opposé à la politique extérieure de Louis XIII part se réfugier à Nancy chez le duc de Lorraine. Et ne voilà-t-il pas qu’il tombe amoureux de la fille du duc Margueritte de Vaudémont-Lorraine. Il prétend se marier avec elle, Richelieu s’y oppose. Gaston épouse secrètement sa dulcinée dans un couvent de Nancy en 1632. Le Parlement de Paris refuse d’enregistrer le mariage. Gaston se réfugie à Malines chez sa mère en exil et se fait une deuxième fois marier avec Margueritte de Vaudémont-Lorraine cette fois par l’Archevêque de Malines ! Richelieu réussit à faire invalider ce mariage par l’Assemblée du Clergé de France. Sur ces entrefaites, Richelieu meurt et Louis XIII accepte de recevoir Gaston et sa femme à Paris. Le couple se remarie donc une troisième fois en mai 1643. Ils vécurent heureux et eurent 5 enfants !

C’est la grande époque des conspirations auxquelles participera Gaston : après celle de Chalais en 1626 dont on vient de parler, c’est au tour du duc de Montmorency de conspirer contre Richelieu ; il sera décapité en 1632 ; Puis en 1642 c’est au tour de Cinq-Mars et de Thou… décapités en 1642 ; enfin, après la mort de Louis XIII, Gaston participera à la Fronde sous la régence d’Anne d’Autriche et du Cardinal Mazarin… avant de finir sa vie en exil… à Blois.

Ces quelques exemples nous donnent bien le ton de cette époque baroque en recherche de Liberté : c’est une époque de complots. Mais ce fut aussi une époque de guerres civiles qui marquent la liquidation des Guerres de religion…
Henri IV avait marqué l’arrêt des guerres de Religion en abattant par ses victoires la puissance militaire catholique de la Sainte Ligue. Henri III avait déjà bien sapé la puissance des Ligueurs en faisant assassiner le Duc de Guise leur chef charismatique.

En ce qui concerne le parti protestant, des édits successifs : St-Germain (1570), Beaulieu (1576), Bergerac (1577), Nérac (1579) Nantes (1598) avaient accordé aux Protestants pour 8 ans de très nombreuses places avec garnison dénommées ordinairement Places de Sûreté.

Parmi les places octroyées ou occupées par les huguenots à cette époque, il faut distinguer quatre catégories :

1°) Les 64 Places dites « de sûreté » : la garnison est prise en charge financièrement par le roi qui - de plus- nomme le gouverneur.
Dans notre région, j’ai noté Montpellier (Garnison 128 hommes), Aigues-Mortes (Garnison 128 hommes) Lunel (Garnison 10 h.), Sommières (Garnison 39 h.), Clermont de Lodève (Garnison 32 h.) Aymargues
2°) Les 18 Places de mariage : sont des annexes des premières. Châteaurenard…
3°) Les villes sans garnison royales et administrées par une municipalité dans le cadre des privilèges octroyés par le Roi. Un exemple célèbre La Rochelle, Nîmes… mais les statuts évoluaient avec le temps…
4°) Les places, villes ou châteaux simplement tenus par des seigneurs réformés. Aigues-Mortes, Uzès, Alais l’avait été mais son seigneur s’était converti et donc était réputée catholique.

Attention : sur la période 1560/98 – 1626 les modifications des listes et des statuts sont éminemment variables…

C’était en effet, mettre le vers dans le fruit. Jean Delumeau estime que cette politique avait permis à beaucoup d’espérer instaurer une sorte de « Provinces Unies du Midi », sur le modèle des Province-Unies des Pays-Bas. Ces Provinces-Unies du Midi, c’étaient le Poitou (Henri de Rohan Gouverneur), l’Aunis et la Saintonge (La Rochelle), le Béarn et le Languedoc. Le duc Henri II de Rohan va largement contribuer à structurer et à mailler ce vaste espace huguenot en créant les Cercles (circonscriptions administratives), et dirigera largement la résistance dans le Midi… Au XVIIe appellera ces guerres : « Les guerres de Monsieur de Rohan » un vrai titre de roman.

Les Places avaient été accordées pour 8 ans en 1598. Mais les dates de restitution avaient été prorogées plusieurs fois, ce qui compliquait le problème et instaurait une idée de permanence. Sous Louis XIII, les Protestants devaient les rendre et refusaient.

En 1622, Louis XIII descendit vers le Poitou, puis le Béarn pour réduire les villes et les Places à l’obéissance et, après Montauban et Nérac, le 31 août 1622 il met le siège devant Montpellier avec 10.000 hommes. Louis XIII y fera son entrée solennelle le 19 octobre 1622.

En ce qui concerne notre région, je vais vous lire une page de l’« Histoire Abrégée de la Ville de Nîmes » publiée à Amsterdam en 1767 largement d’inspiration protestante :

«  Les troubles du Béarn répandant l’alarme chez les protestants du Languedoc, la haine des deux partis s’alluma. … les ducs de Rohan et de Soubise étaient les moteurs de la révolte. L’ont fortifiait Nîmes et l’on y vérifiait le nombre des chevaux propres à la cavalerie, d’après les ordres de Châtillon. C’est alors que le projet des protestants de former une république reparue avec plus de force et que la France par eux divisée en huit Cercles devait être la copie des provinces unies…
…Marguerite, qui était alors une place importante, enlevée aux protestants par le duc de Montmorency, fut reprise par le duc de Châtillon et rasée. L’on augmenta les fortifications de Nîmes ; l’on en chassa le seul jésuite qui y était alors établi et les Récollets… et le couvent de ces derniers fut détruit et pillé et un bastion fut élevé sur les ruines de leur église... Cependant le Cercle avait rendu une ordonnance pour la démolition des églises catholiques. On ne tarda pas à l’exécuter à Nîmes. La cathédrale, nouvellement rebâti fut encore abattue ; on ne laissa que… le clocher, dont on avait besoin pour y placer des sentinelles. Les autres églises eurent le même sort et les maisons des chanoines furent pillées et saccagées. L’on finit par enjoindre à tous les catholiques de sortir de la ville.

Louis XIII… s’avançait dans le Languedoc à la tête d’une armée considérable.
Il formait le siège de Montpellier, et les habitants de Nîmes, malgré leurs précautions, malgré l’augmentation faite à leurs fortifications… furent intimidés par les forces qui les menaçaient. Ils allèrent à Montpellier se jeter aux pieds du roi, et reçurent les lettres de pacification de ce prince, qui (à ce qu’on doit remarquer) était scellées en cire jaune comme toutes les lettres de pardon. Bientôt le maréchal de Lesdiguières vient faire exécuter l’édit de paix, et remettant les ecclésiastiques en possession de ce qu’ils avaient perdu, il ordonna la démolition de la moitié des fortifications, ainsi qu’il en avait été convenu. »

Jusqu’à la prise de La Rochelle en octobre 1628, et même ensuite, les troubles continueront à Nîmes et dans les campagnes. Par exemple en 1629, Rohan fortifia à nouveau Alais et y tint garnison. Louis XIII et Richelieu allèrent l’assiéger avec succès et sa reddition déboucha sur la Grâce d’Alais, le 28 juin 1629. Pour le plaisir, voici la relation de l’évènement écrite à l’époque par Pierre Chutin (voir bibliographie) premier Consul de Nîmes : « Le vendredi sixième jour de juillet 1629, à une heure après-midi, l’ordonnance de la grâce de Sa Majesté…, a été lue et publiée, à son de trompe, à la place publique, devant le logis de Sa Majesté, et partout les carrefours et lieux accoutumés de la ville de Nîmes, par moi Pierre Chutin, conseiller de Sa Majesté, et Lieutenant en la prévôté de son hôtel, accompagné de deux archers de ladite prévôté, avec l’assistance de Messieurs Antoine Anjouin, Paul Reynaud, et Jean Fayolle, second, troisième, et quart consul, suivi du conseil de ladite ville ; et par tous lesdits reçus avec acclamation de joie de tout le peuple, suivi de cris de réjouissances de Vive le roi. Signé Pierre Chutin. »

La journée des Dupes : une véritable scène de boulevard avec porte dérobée pour le traître joué par le Cardinal.

Le dimanche 10 novembre 1630, Marie de Médicis retient Richelieu à l’issue d’un Conseil Restreint et lui annonce qu’il est disgracié totalement. La nouvelle se répand dans toute la Cour et Michel de Marillac Garde des sceaux prend ses dispositions pour remplacer le Cardinal. Louis XIII n’arrive pas à calmer sa mère. Le lendemain matin, la Reine-mère est en conférence dans sa chambre du Luxembourg avec le Roi son fils aîné. Elle a fait fermer au verrou toutes les portes y donnant accès et a interdit à ses gardes de laisser entrer le Cardinal. Celui-ci finit par trouver une porte dérobée non condamnée qui mène de la chapelle à la chambre de la Reine. Il entre ! Et dit : «  Leurs Majestés parlent de moi ? » Marie de Médicis éclate de colère l’insulte en italien. Madame de Motteville racontera dans ses Mémoires : « La reine-mère dit qu’il est inouï pour ce Cardinal de se permettre ainsi d’interrompre un entretien entre le roi et sa mère ; elle ajoute qu’il n’est qu’un perfide, un ingrat, un fourbe. Elle l’accuse de se conduire de façon honteuse alors qu’elle lui a donné 1 million en or et fait sa carrière. Elle lui jette à la figure les ragots qui circulent en disant que tout le monde sait qu’il veut enlever la couronne au roi, marier sa nièce à Gaston d’Orléans, mettre ce dernier sur le trône en faisant déclarer bâtards Louis XIII et son frère Gaston. Elle ajoute c’en est fini avec le Cardinal et finit par sommer son fils de choisir en elle et ce valet. »

Louis XIII dit à sa mère que le protocole interdit d’insulter quelqu’un devant le Roi ! Puis il demande au Cardinal de sortir. Toute la Cour a confirmation de la disgrâce. En fait, le Roi fait demander à Richelieu de le rejoindre le soir au Louvre et lui envoie son carrosse. Un courtisan le voyant arriver dans cet équipage déclare au salon : «  C’est la journée des Dupes ! » Plus tard Richelieu dira que c’est Dieu lui-même qui a ouvert le verrou pour le sauver. Marie de Médicis dira aussi : « Si je n’avais pas négligé de fermer un verrou, le Cardinal était perdu ! » Richelieu, comme à son habitude ne perdra pas de temps. Deux jours après, le Garde des Sceaux, Michel de Marillac qui se sentait déjà ministre à la place du ministre cardinal est arrêté et exilé quasiment emprisonné au château de Châteaudun. Son frère le Maréchal Louis de Marillac est arrêté en Italie où il dirigeait les opérations avec les deux autres Maréchaux La Force et Schomberg. Ils étaient tous les trois en train de déjeuner quand le messager arrive de Paris demandant à La Force et Schomberg d’arrêter Marillac. Condamné à mort il terminera la tête tranchée en Place de Grève. Trois mois après (février 1631), la Reine-mère est à nouveau exilée à Moulins… Mais elle prend la poudre d’escampette et se rend à Avesnes dans le nord alors territoire espagnol et ne reviendra plus jamais en France et mourra à Cologne en 1642 six mois avant le Cardinal.

II. Après avoir décrit largement cette époque baroque, il est temps de passer à Richelieu :

On a souvent dit que la famille de Richelieu était obscure. C’est loin d’être vrai.

Plutôt que de parler de famille, à cette époque, il vaut mieux parler de lignage. Un lignage suppose la longue durée avec l’héritage d’un passé que l’on fait fructifier dans le présent en vue de l’avenir en mettant en œuvre une politique d’ascension sociale à travers des services rendus et des mariages qui amènent des terres, des fiefs, des titres et des alliances. C’est la politique lignagère qu’il est du devoir pour les chefs de famille de pratiquer avec opiniâtreté de génération en génération.

Les Richelieu illustrent parfaitement une telle politique lignagère.

L’héritage du passé : Les Du Plessis de Richelieu étaient de noblesse, certes modeste, mais d’ancienne extraction : c’est-à-dire remontant avec preuves indiscutables au moins au XVe : précisément en 1388, où un certain Sauvage du Plessis de la Vervolière épouse une certaine Isabau Le Groing de Belarbre et dont le fils lui amènera par mariage la seigneurie de Richelieu. Et cette patiente recherche de terres, de titres et d’alliances flatteuses avec de puissantes Maisons va se poursuivre dans une véritable politique lignagère qui va hausser peu à peu la famille vers la Cour.

Le projet lignager : Ainsi, un siècle après, en 1489 François II du Plessis épouse en première noce Guyonne de Laval apparentée aux Montmorency et en seconde noce Anne Le Roy du Chillou fille de Guyon vice-amiral de France. En 1542, le grand-père du Cardinal épouse Françoise de Rochechouart. Cela explique le commentaire lapidaire et flatteur d’un expert, le Cardinal de Retz : «  Richelieu avait de la naissance.  » C’est aussi l’opinion du médisant et très concierge Tallemant des Réaux : « Le père du Cardinal de Richelieu était un parfait gentilhomme. »

Justement, disons quelques mots de son père qui avait hissé la famille au seuil de la Cour : François III de Richelieu (1548-1590) devint Grand-Prévôt de France de Henri III, en charge notamment de la sûreté du Roi et de la Cour, disposant de tous pouvoirs de police pour les voyages du Roi. Il est aussi Conseiller d’État, Capitaine des Gardes du Corps et reçoit en 1585 le si recherché et rare cordon bleu du Saint-Esprit. Rappelons que cette distinction ne touchera sur tout l’Ancien régime que 90 familles.
On ne lui reprochera pas l’assassinat d’Henri III qu’il ne put éviter et Henri IV le maintiendra dans toutes ses charges. Toutefois, il mourra à 42 ans, couvert de dette si bien qu’on dut vendre son collier du Saint-Esprit pour payer ses obsèques.

Cette politique lignagère sera continuée après la mort du Cardinal qui aura hissé la famille au premier rang social ce qui expliquera son avidité de titres et de richesses.

Le père du Cardinal laissait 6 enfants, dans l’ordre une fille Françoise (1578), Henri le futur marquis (1580) Alphonse-Louis le futur Cardinal de Lyon (1582), Isabelle (1583), puis le troisième garçon Armand Jean, notre Richelieu (1585), Nicole en 1586.

III. Le sentier que nous allons suivre maintenant dans la vie de Richelieu pourrait s’intituler : « Du cheval à la calotte » à moins que vous ne préfériez la formule : «  du sabre au goupillon ».

La mère, Suzanne de La Porte envoya l’aîné de ses garçons, Henri comme page à la Cour. Le second, Alphonse-Louis devint prêtre, car on le destinait à l’évêché de Luçon qu’Henri III réservait à la famille en remerciement des services rendus. Quand à notre jeune Armand Jean du Plessis de Richelieu, troisième garçon de la famille, on le disait « chétif, malingre et souffreteux ». Mais il fallait bien en faire quelque chose. On le destina au métier des armes. On l’envoya à l’Académie de cavalerie d’Antoine de Pluvinel, rue Saint-Honoré à Paris que fréquentaient les enfants de la noblesse. C’était l’académie à la mode, Pluvinel était gentilhomme, premier écuyer d’Henri III et écuyer principal de Louis XIII. Il écrivit un manuel d’équitation qui fut un ouvrage de référence : « L’instruction du Roy en l’exercice de monter à cheval. » Le jeune Armand, sous le nom de marquis du Chillou (nom d’un fief de la famille), il y mena la vie insouciante d’un cadet de famille. Il disposait de deux laquais et d’un précepteur-secrétaire. Il y devint rapidement bon danseur, bon cavalier, bon duelliste et bon lutteur… Pluvinel lui attribuera les qualificatifs de « prudent… sage… raison… vertu… » Apparemment, cela ne l’empêchait pas de courir le guilledou, puisqu’il y contracta une « Gonorrhoea inveterata » (Blennorragie) dont réussira à le débarrassera Jean de la Rivière médecin d’Henri IV.

Mais voilà que son frère, Alphonse-Louis, ordonné prêtre ne veut rien entendre : il ne sera pas évêque, il sera moine ! Et il entre en 1602 à la Grande Chartreuse comme novice ! Ce fameux évêché de Luçon – que l’on disait « crotté », mais qui faisait vivre la famille, risquait d’échapper aux Richelieu. On retire donc dare-dare Armand Jean de la cavalerie et on le met à la théologie. Il semble que son cursus d’études « sera plus personnel qu’institutionnel » comme dira un biographe, mais les historiens manquent sur ce point de renseignements précis…

Exit donc l’équitation, la danse, la lutte et le sabre et vive la calotte et le goupillon ! Nous sommes alors en 1606, sous le règne du vert Béarnais.

Mais comment devenir Évêque ? Richelieu va nous démontrer que le chemin le plus tortueux est parfois le plus court. Henri IV nomme le jeune Armand Jean évêque à seulement 21 ans et 3 mois en décembre 1606. Notre ex-cavalier était alors seulement bachelier en théologie après un an d’étude et venait seulement d’être ordonné diacre ! Mais pour être réellement évêque, c’est-à-dire consacré, il fallait l’investiture du Pape et en plus satisfaire à trois conditions : être prêtre, docteur en théologie et avoir 25 ans. Avec Armand Jean, on est loin du compte ! Henri IV demande alors à son ambassadeur extraordinaire à Rome le cardinal du Perron d’intervenir en faveur de son protégé auprès du pape Paul V auquel il écrit personnellement que «  ledit du Plessis… n’a atteint du tout l’âge requis par les saints décrets… » mais se dit « très assuré que ses mérites et suffisances peuvent aisément suppléer à ce défaut.  » Armand prend la route de Rome pour défendre lui-même son dossier : 20 jours de voyage difficiles et hasardeux à cette époque.

Le cardinal ambassadeur le présente au Pape Paul V qui lui demande affectueusement son âge. Armand lui jure qu’il a bien l’âge requis et pour appuyer ses dires, produit à la Chancellerie l’acte de baptême de son frère aîné après en avoir soigneusement gratté le nom et mit le sien à la place. Sur ce mensonge éhonté et au vu de ce faux en écriture publique, le Pape lui accorde la dispense d’âge d’un an et lui donne l’investiture.

Nous sommes le 17 avril 1607. D’après ce concierge de Tallemant des Réaux, Richelieu se confessera le soir même de son double forfait au pape qui aurait donné ce commentaire : « Ce jeune homme sera un très grand fourbe ». Et le Pape, comme la mule du même nom, s’en souviendra et, toujours selon Tallemant, se fera tirer l’oreille en 1620 pour le nommer Cardinal…

Cet apprenti soldat devenu prêtre par accident, a-t-il fait un bon clerc ? Autrement dit, qu’en est-il de la religion de Richelieu ?

Pour l’Abbé Henri Brémond dans son Histoire Littéraire du sentiment religieux en France, la religion de Richelieu est de type populaire, avec une grande peur de l’enfer.

On fit reproche à Richelieu d’être devenu évêque pour simplement remplacer son frère…

Il fut pourtant un bon évêque : Il commencera par résider pendant 8 ans dans son évêché comme le voulait le concile de Trente. Richelieu y créera un des premiers Séminaires de France (qui ne durera cependant pas longtemps) il fera rédiger un catéchisme.

On disait aussi : « son bréviaire, chacun sait « qu’il estoit aussi neuf que quand il sortoit de la presse » le cardinal avait en effet obtenu dès 1624 une dispense du pape Urbain VIII le déchargeant de sa lecture quotidienne. Toutefois, durant toute sa vie, ce bréviaire fut posé sur sa table de travail.

À l’époque, on lui reprochait son hostilité radicale à l’Autriche et à l’Espagne catholiques et on lui supposait par conséquent une coupable mansuétude envers les Calvinistes. Le siège de la Rochelle et sept années de lutte contre les velléités d’indépendance des protestants ne suffiront pas à modifier radicalement cette opinion. Car le parti dit « dévot  » continuera à le haïr à cause de sa politique étrangère.

On le soupçonna aussi de Gallicanisme pour n’avoir pas fait enregistrer les décrets du Concile de Trente. Mais ce serait une trop longue affaire à exposer.

Dans la foulée, on glosa sur le désir que Richelieu manifesta de devenir « Légat perpétuel du Saint-Siège en France ». On lui reprocha d’avoir envisagé de se faire nommer « Général des Bénédictins français » dont il aurait alors regroupé les nombreuses branches. On le brocarda sur le désir qu’il exprima de se faire attribuer en 1639 le titre de «  Patriarche des Gaules ». Bien entendu, toutes ces prétentions aussi fantaisistes que mégalomanes n’eurent aucun succès.

Aujourd’hui, la majorité des historiens réévalue plutôt les convictions chrétiennes de Richelieu qui dans son fameux Testament Politique consacra tout un chapitre à « De l’obéissance que l’on doit au Pape » et où il écrivit : « Les princes sont obligés à reconnaître l’autorité de l’Église, se soumettre à ses saints décrets. »

On reprocha enfin à Richelieu, son opposition qui confina à l’acharnement contre deux personnages religieux majeurs du siècle.
Tout d’abord le Cardinal de Bérulle qui créa l’Oratoire en France. Bérulle dirigea longtemps le Conseil de La reine-mère et passait pour inspirer le Parti Dévot qui exécrait Richelieu à cause de sa politique extérieure contre les Habsbourg. Bérulle fut finalement disgracié en 1628, il a eu le bon goût de mourir en 1629 en disant sa messe, un an avant la journée des Dupes qui lui aurait sans doute été fatale.

En ce qui concerne l’Abbé de Saint-Cyran, ce fut de l’acharnement. Il le fit embastiller et le malheureux y resta 5 ans jusqu’à la mort de Richelieu. À la base, il y avait une querelle religieuse que le Cardinal expliqua ainsi au Prince de Condé : « Vous voyez mon catéchisme qui est sur la table, il a été imprimé 22 fois. J’y dis que l’attrition suffit pour la confession et lui Saint-Cyran croit que la contrition est nécessaire » Le Concile de Trente s’était bien gardé de trancher ce point délicat. Mais il y avait aussi une raison politique : Saint-Cyran trouvait valide le fameux mariage de Gaston d’Orléans avec Catherine de Lorraine. Le Cardinal dit : « Dans qui regarde le mariage de Monsieur, toute la France s’étant rendue à mon désir, lui seul Saint-Cyran a eu la hardiesse d’y être contraire. »
Saint-Cyran disait avec humour qu’il comptait jusqu’à 17 motifs d’être embastillé !
Toutefois, à sa mort, innombrables furent les folliculaires anonymes qui le vouèrent à l’Enfer. Pour comprendre les vers immortels suivants, il est indispensable de savoir que le Cardinal souffrit toute sa vie d’hémorroïdes :

Un libelle proclamait « Que son cul est déjà le partage des vers,/Et que l’âme d’Armand est le prix des Enfers »

Un autre célébrait un : « Cardinal au cul pourri, excrément des Enfers/dont le corps infecté sert de pâture aux vers »

III. Explorons maintenant le chemin qui mène : « De la calotte épiscopale au Chapeau Cardinalice et à l’armure du chef de guerre » C’est un parcours dont la rapidité n’a d’égale que son caractère accidenté.

Ce fut donc par les talents oratoires de ses discours aux États généraux de 1614 qu’il attira l’attention de la Régente, la Reine-mère Marie de Médicis. Elle le fit appeler à son Conseil en 1616 dont il devient le chef et son Garde des Sceaux en 1617.

1617, c’est l’année où Louis XIII prend le pouvoir en faisant assassiner en avril le Maréchal d’Ancre Concino Concini le principal conseiller et favori de la régente, et brûler sa femme la Galigaï comme sorcière et lèse-majesté. Richelieu, alors chef du Conseil de Reine est condamné à suivre la Reine mère dans sa retraite à Blois, puis le Roi exile l’évêque à Avignon en avril.

Il revient appelé en mars 1619 par Louis XIII pour conclure la paix entre le Roi et sa mère, ce qui lui vaudra le chapeau Cardinalice en 1622 et le poste de chef du Conseil du Roi en 1624.

Devenu Cardinal et ministre, l’ancien cadet de l’Académie de cavalerie Pluvinel n’oubliera pas sa formation première et son goût des armes et accumulera les succès militaires en commandant réellement sur le terrain et en payant de sa personne : le siège de La Rochelle, la conquête de Pignerol sont ses œuvres ; il dirigera efficacement les armées royales en Saintonge, en Poitou, en Angoumois, en Italie et passera une grande partie de sa vie à cheval et en cuirasse aux côtés de Louis XIII sur les champs de bataille de son temps.

Et quand on dit passer sa vie, ce n’est pas une figure de style. Prenons par exemple l’année 1642, année de sa mort. Voici son emploi du temps :
Janvier : Rueil-Malmaison. 3 février Fontainebleau. 8 février La Charité sur Loire. 10 fevrier Nevers. 20 février Lyon. 28 Valence.
6 mars Beaucaire. 14 mars Agde. 5 juin Marseillan. Frontignan. 10 juin Arles. 13 juin et juillet août Tarascon. 20 août Mornas. 30 août Valence. 3 sept Condrieu. 4 sept Vienne. Du 6 au 9 sept Lyon. 13 sept Lentilly ( près de St Etienne) le 15 Tarare, le 18 Roanne, le 20 sept à Digoin, le 21 à Montargis. Le 7 octobre Briare, le 13oct Fontainebleau, du 17 au 23 Paris, 26 Rueil, 4 novembre Paris et le 4 décembre mort de Richelieu à Paris…

III. Un chemin de richesse : « Noblesse oblige ! »
Il fallait à cette époque tenir son rang.

Le Cardinal aime l’argent et la gloire sous tous ses aspects ; son obsession : éblouir ! Pour y arriver, il se montrera un cumulard insatiable dans tous les domaines.
En politique : entré au Conseil du Roi en avril 1624, il en devient le chef en août et va s’appliquer à cumuler les charges et les bénéfices.

En 1626 il sera nommé « Grand-maître, Chef et Surintendant général de la Navigation et du Commerce de France. » Puis en 1627 : gouverneur de Brouage ; en 1630 gouverneur de l’Aunis, de La Rochelle et de l’ile de Ré ; le 4 septembre 1631 gouverneur et amiral de Bretagne et en mars 1632, gouverneur de Nantes. Février 1640, il devient gouverneur du Havre de Grâce. Toutes ces fonctions sont extrêmement lucratives et vont lui rapporter gros.

Mais attention : ce cumul lui permettra aussi et surtout de mettre en œuvre la première politique maritime de la France. Le siège de La Rochelle en 1627 lui avait montré la nécessite d’une marine : pour bloquer le port de la ville rebelle on avait dû acheter des navires à la Hollande. Dans chacune de ces charges, il place ses oncles, ses neveux et des hommes à lui. Avec leur aide, il va créer ou développer des ports : Brouage pour concurrencer La Rochelle ; il va fortifier les côtes, créer des arsenaux au Havre, à Brest. En 9 ans de cette politique, la France pourra aligner dans la guerre contre l’Espagne 35 vaisseaux de ligne, 24 galères, 3 frégates et 12 navires de soutien, 5.000 marins sur l’Atlantique et 10.000 en Méditerranée. En 1635 Pont-Courlay son neveu, Général des Galères du Levant écrase les 15 galères espagnoles près de Gènes avec ses 14 galères et Sourdis reprendra les Iles du Lérins aux Espagnols qu’il écrasera à nouveau à Guetaria en 1638.

Il modifia le recrutement des marins : lettre du 30 juin 1627 à son oncle le commandeur Amador de La Porte qu’il avait fait Gouverneur du Havre de Grâce : « Je désire plutôt de gros mariniers vaillans, nourris dans l’eau de mer et la bouteille que des chevaliers frisés, car ces gens-là servent mieux le roi. » Ce qui ne l’empêchera pas d’utiliser aussi les jeunes nobles frisés chevaliers de Malte.

1627 - 1 janvier : Fondation de la Compagnie de la Nouvelle-France ou des Cents associés

Continuons l’examen du cumulard Richelieu.

Les titres nobiliaires : le 4 septembre 1631, il devient duc et pair (rappelons que 3 jours après il sera fait gouverneur et amiral de Bretagne) ; Nommé dans l’Ordre du Saint-Esprit le 14 mai 1632, il en devient Commandeur en 1633. Et en 1634, il devient Duc de Fronsac, titre qui sera ensuite utilisé dans la famille comme titre d’attente pour l’aîné.

Il accumulera les bénéfices ecclésiastiques et les prébendes ; Joseph Bergin dans son ouvrage Pouvoir et Fortune de Richelieu, lui attribue 31 bénéfices ecclésiastiques, parmi lesquels Saint-Benoît-sur-Loire, Cluny, Saint-Riquier, La-Chaise-Dieu, Saint-Martin-de-Tour, Cîteaux, Prémontré, Marmoutier… En 1635, Richelieu est nommé Général de Prémontré.

Arrêtons-nous un instant sur sa promotion de duc et pair, car c’est dans de duché de Richelieu, que le Cardinal va le mieux nous révéler sa quête éperdue de distinctions, de splendeurs et de gloire
La seigneurie de Richelieu, qui, lorsqu’il en hérite en 1621, est simplement un petit manoir. Pendant dix ans, il va patiemment acheter tout ce qui est à vendre dans le coin, en tout six fiefs

En même temps, il entreprend de faire rebâtir son manoir en un immense château digne d’un duché par un architecte en renom Jacques Le Mercier. Si bien que lorsque le Roi en 1631 érigea la terre de Richelieu en Duché Pairie, sa seigneurie familiale pouvait désormais dignement servir d’écrin à cet honneur.

Mais c’était encore trop peu pour Richelieu. Il obtient du Roi le privilège d’y construire une ville fortifiée, lui le grand pourfendeur de remparts et de tours. Il en confie le projet à Le Mercier.
Créer de toutes pièces une ville à son nom ! Il obtient pour les futurs bourgeois des privilèges fiscaux, la création d’un marché et d’une foire ; il y déménage le grenier à sel de Loudun et le Bureau d’élection de Mirebeau. Il fait pression sur des officiers royaux – notamment les financiers - pour qu’ils y construisent leurs hôtels. Et comme surveillant des travaux, il prend un archevêque, celui de Bordeaux Mgr de Sourdis. La construction de l’église est confiée à Le Mercier et la partie spirituelle à Monsieur Vincent le célèbre St Vincent de Paul qui en devint le Curé officiel, mais non résident.
Pourtant, le Cardinal, bourreau de travail, ne trouvera guère le temps de visiter le chantier de son immense château, d’en admirer les splendides collections d’art de sa grande galerie ; il ne verra ni son grand canal, ni son parc, ni sa belle ville fortifiée dans les règles par ses ingénieurs militaires. On dit que Fouquet et Louis XIV s’en inspireront, mais confisquée à la Révolution, cette splendeur sera livrée à la pioche des démolisseurs en 1832.

Richelieu se fera construire ou embellir de très nombreux châteaux. À Paris, tout d’abord : le Palais Cardinal bâti par l’architecte Jacques Le Mercier, qui brûlera en 1763. Ce palais qui s’étendait au nord du Louvre avec des jardins qui allaient jusqu’aux remparts, avait frappé les contemporains. Corneille dans le Menteur en 1644 écrit :

« Et l’univers entier ne peut rien voir d’égal
Au superbe dehors du palais Cardinal.

Tout nous fait présumer à ses superbes toits
Que tous ses habitants sont des dieux ou des rois. »

C’est dans sa salle de spectacle que fut joué le Cid en 1637. Les travaux dureront toute la vie de Richelieu qui prit la précaution de le léguer au Roi dans son testament de 1636…

C’est aussi le château de Rueil où il fit créer les fameux jardins sur le modèle de la Villa d’Este à Tivoli. On dit que Versailles s’en inspirera. Il avait choisi Rueil, car c’était sur la route à mi-chemin du Louvre et de Saint-Germain où résidait la Cour en général. Toutefois, les travaux n’étaient pas achevés à sa mort, si bien qu’à Rueil, il habitait plutôt dans une des fermes du château…

Ce sera aussi le château de Fronsac dans son deuxième duché que Richelieu embellira. Enfin on ne peut quitter le sujet sans évoquer la reconstruction de la Sorbonne avec sa chapelle œuvre de Le Mercier qui abrite son tombeau. Ce tombeau sculpté par François Girardon ne sera construit qu’à la fin du siècle. Long de 5 m il représente le cardinal à moitié allongé sur un baldaquin, assisté par l’allégorie de la Piété au moment d’affronter le jugement dernier. À ses pieds, l’allégorie de la Doctrine chrétienne est en pleurs.

IV. Richelieu fréquenta assidûment les chemins littéraires « De la calotte à la plume »

Contrairement à ce que l’on croit communément, Richelieu n’était pas un triste. Ce concierge, cette pipelette de Tallement des Réaux que j’ai déjà cité, écrit dans ses Historiettes : « Le Cardinal se chatouillait souvent pour se faire rire… » Mais il n’était pas pour autant facile à dérider, car la pipelette ajoute : « Le Cardinal envoyait chercher Boisrobert (le fondateur de l’Académie française) et les autres qui le pouvait divertir et il leur disait : - réjouissez-moi, si vous en savez le secret… »

Et le Cardinal ne dédaignait pas les histoires légères, voire scatologiques.
En cela, c’était un homme de son temps.
Par exemple, Tallement des Réaux raconte : « Pour montrer la toute-puissance du Cardinal, on faisait ce conte dont Boisrobert divertit son Éminence. Le colonel Hailbrun, Écossais, homme qui était considéré, passant à cheval dans la rue Tictonne, se sentit pressé. Il entre dans la maison d’un bourgeois et décharge son paquet dans l’allée. Le bourgeois se trouve là et fait du bruit… Son valet dit au bourgeois : « Mon Maître est à Monsieur le Cardinal – Ah ! Monsieur » dit le bourgeois, « vous pouvez chier partout puisque vous êtes au Cardinal. » Et Richelieu éclatait chaque fois de rire.

Tallement des Réaux (Historiettes) :
Richelieu, « Un jour qu’il étoit enfermé avec Desmarest, que Bautru avoit introduit chez lui, il lui demanda : « À quoi pensez-vous que je prenne le plus de plaisir ? — À faire le bonheur de la France, lui répondit Desmarest — Point du tout, répliqua-t-il, c’est à faire des vers. »

En effet, il adorait les jeux littéraires qu’il poussait parfois très loin parce qu’il pensait avoir un certain talent.
Mais la politique, même en littérature, n’était jamais loin chez lui.
Par exemple, le Cardinal passait pour ne pas apprécier le Cid qui crevait les planches en ce tout début d’année 1637. Il faut dire que la pièce exaltait la vaillance et l’esprit chevaleresque des Espagnols alors que la France du Cardinal était en plein conflit avec l’Espagne. Les Parisiens n’en avaient cure et faisaient chaque soir un triomphe à Corneille. Boileau donna ce commentaire :

« En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris pour Rodrigue a les yeux de Chimène… »

Quoi qu’il en soit, Richelieu, pour plaire au Roi qui adorait le Cid fit représenter la pièce deux fois chez lui ; mais, pour faire bonne mesure, il en commanda à Boisrobert une version burlesque qu’il fit jouer par ses marmitons et ses valets. C’est dans ce pastiche que Boisrobert écrivit cette réplique immortelle qui fit la joie de nos récréations de potache :

« Rodrigue as-tu du cœur ?
– Je n’ai que du carreau ! »

Mairet, protégé du Cardinal, passant alors pour le plus grand auteur dramatique français, publia que le Cid était un simple plagiat de l’Espagnol Guilhem de Castro. Corneille répliqua que la Muse de Mairet « fréquentait le bordel ». Scudéry publia ses « Observations sur le Cid » où il dénonça une pièce totalement immorale : le Comte est un Matamore, Don Sanche un sot, Chimène une « parricide… prostituée… vivant dans l’impiété… en un mot un monstre »
Scudéry suggéra alors que l’Académie juge le Cid, idée qui plut à Richelieu. Chapelain rédigea donc Les Sentiments de l’Académie Française sur la tragi-comédie du Cid.

À l’occasion, le Cardinal écrivait des arguments de comédies et de tragédies qu’il faisait versifier par le gratin littéraire de l’époque, comme Chapelain ou cette fameuse équipe toute dévouée au Cardinal et que l’on appelait « les cinq » : Corneille, Boisrobert, Rotrou, Colletet et l’Étoile qui versifiaient chacun un acte.

Un jour, Corneille prit la liberté de modifier l’argument d’une scène ébauché par Richelieu. L’Éminence se fâcha. Notre écrivain avait la nuque raide ; il prétexta des problèmes de famille et quitta Paris pour Rouen. Loin de s’y tenir tranquille, il publia une épître vengeresse « Excuse à Ariste » où il écrivait :

« … Je sais ce que je vaux, et crois ce qu’on m’en dit
Pour me faire admirer, je ne fais point de ligue…
Mon travail, sans appui, monte sur le théâtre…
Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée… »

N’oublions pas qu’à l’époque, les artistes étaient des sortes de courtisans attachés à de grands seigneurs, à qui ils devaient une forme d’obéissance et de louange en échange de leur protection et de leur pension. Cette « trahison » littéraire, cette défection et cette épître à Ariste blessèrent le Cardinal dans sa dignité de « protecteur des lettres », mais peut-être aussi dans son ego de l’homme de lettres qu’il estimait être. Ceci explique sans doute en partie ses prises de position dans la querelle du Cid.

Mais le Cardinal était trop grand seigneur pour s’acharner sur un poète : il mit fin à la querelle du Cid en donnant l’ordre au grand acteur et écrivain Mairet de se réconcilier avec son rival Corneille. Et l’année suivante, il anoblit la famille de Corneille et continua à le pensionner et à le protéger. Si bien qu’à la mort du Cardinal, Corneille refusa de rejoindre la cohorte des détracteurs qui se déchaînaient contre Richelieu, et se contenta d’écrire sur son « rival » en littérature :

« Qu’on parle mal ou bien du fameux Cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Et m’a fait trop de mal pour en dire du bien »

Alors que Benserade également protégé de Richelieu ne se priva pas à la mort de son protecteur d’écrire :

« Ci-gît un fameux cardinal
Qui fit plus de mal que de bien :
Le bien qu’il fit, il le fit mal
Le mal qu’il fit, il le fit bien. »

Si la littérature, pour Richelieu, était un divertissement, elle contribuait comme nous venons de le voir, directement à sa gloire sous ce titre de Protecteur des Lettres et des Arts qu’il se donnait et contribuait surtout à la gloire de son patron le Roi. C’est tout le sens de la création de l’Académie française, destinée à rassembler tous les grands esprits du royaume pour en auréoler la Majesté royale. Chez Richelieu, tout finit en politique.

Tout chez lui finit en politique : on le voit très bien, dans cette comédie intitulée « Europe » que l’on dit être de la main de Richelieu et que commente Éric Zemmour, dans son essai historique intitulé Mélancolie Française et dont voici l’argument : « Une jeune fille nommée Europe est ardemment courtisée par un matamore arborant une fraise superbe, nommé Ibère. Mais elle lui préfère Francion, vêtu à l’antique, un coq gaulois sur son casque et qui lui susurre galamment :

Ibère est-il bien constant ? Il voit la nymphe Afrique
Il court la belle Indie, il possède Amérique :
Puis il veut vous avoir ; rien ne peut l’assouvir
Pour moi je ne prétends que l’heur de vous servir… »

On a dans cette comédie, nous dit Zemmour, un résumé de la politique européenne anti-espagnole et anti-autrichienne menée par la France, c’est-à-dire par Richelieu. Tout le Cardinal est là : même ses passions, même ses passe-temps finissent en politique et concourent à la gloire du Roi son maître et donc par ricochet à la sienne.

Profitons-en pour souligner ce trait : Si le Cardinal est avide de gloire, tout doit d’abord concourir à la gloire du Roi qui passe toujours en premier.
Une anecdote illustre bien ce fait : On raconte que, Louis XIII et Richelieu se rencontrant au seuil d’une porte, le roi d’un ton revêche et grognon dit à son ministre : « Passez, monsieur le cardinal, n’êtes-vous point ici le maître ? » Sur quoi, Richelieu saisit à l’instant un flambeau des mains d’un domestique et, prenant le pas, répondit : « A vos ordres, sire, mais pour obéir à Votre Majesté et remplir l’office du plus humble de ses valets. » Il y a de ces anecdotes qui d’un trait caractérisent toute une situation ; celle-ci me semble donner la juste mesure des rapports de ce roi et de ce ministre.

CONCLUSION

Et la moustache du Cardinal sera ma conclusion.
Et pour cela, revenons-en au tombeau princier de Richelieu dans la chapelle de la Sorbonne. Jusqu’à la Révolution, pas de problème : Armand Jean repose tranquille sous sa vasque de marbre blanc de la Sorbonne. Pendant cent cinquante ans, son gisant en tenue cardinalice, par Girardon, restera soutenu par la Religion en pleurs, tandis que la Doctrine Chrétienne continuera à lui baigner les pieds de ses larmes. Mais le 5 décembre 1793, sur les dix heures du matin, les révolutionnaires brisent les portes de la Sorbonne, saccagent son tombeau, en extirpent son corps, le décapitent à la scie, jettent ses restes dans une fosse commune et jouent au foot avec sa tête dans la rue Saint-Jacques qui de la Sorbonne descend vers la Seine. La tête du Cardinal est finalement emportée par un dénommé Cheval, épicier rue de La Harpe. Après un long séjour dans un presbytère de Bretagne (à Tréguier, il me semble), la tête est léguée en 1866 à l’État, qui la ré- inhume solennellement en Sorbonne. Le procès-verbal de la cérémonie contient une superbe collection de perles dont j’ai extrait celle-ci pour votre plaisir : Le légiste, un nommé de Quatrefages, écrit : « J’ai aussi étudié la tête de Richelieu. Je ne suis pas convaincu que le crâne fut dolichocéphale… Sur la statue (du tombeau) le crâne est brachycéphale… » C’était la grande époque des bosses de Gall… En 1895, le grand historien de Richelieu, Gabriel Hanotaux, alors ministre des Affaires étrangères, ouvre à son tour le tombeau, s’empare du crâne pour l’examiner une dernière fois, au cours d’une cérémonie mondaine en présence de la princesse de Monaco (1875-1952). Cette Alice Heine était la fille de Michel Heine, un banquier richissime Régent de la Banque de France, son parrain avait été Napoléon III. Elle épousa en première noce le dernier Duc de Richelieu, puis devenue veuve elle épouse Albert 1er de Monaco. Elle assistait donc à cette cérémonie en tant que veuve du duc de Richelieu. C’était une reine de la mode. La Presse est subjuguée par sa « toilette d’exhumation suave, printanière, avec un chapeau fleuri de toutes les fleurs de la saison et des bracelets jusqu’aux coudes ». Un ouvrier ouvre la cassette de fer de 1866, et ouvrez grandes vos oreilles, car je cite le procès-verbal : « nous distinguons une face momifiée, une pauvre tête mutilée, à laquelle adhèrent encore des cheveux, et une moustache embarrassée de filaments de coton. » Surprise ! La fameuse double moustache n’a plus qu’un côté et Hanotaux, son historien en profite pour souligner : « l’exactitude de ses récits sur la mort du Cardinal, et comment - pour administrer les derniers remèdes au mourant - la moustache fut coupée, d’un côté, d’un maladroit coup de ciseaux donné de travers sur la lèvre du mourant. » Fier de constater que ses études sur le Cardinal avaient dit vrai, le ministre fait photographier et dessiner à nouveau le célèbre chef, avant de le mettre dans un coffret scellé et de le faire recouvrir d’une chape de ciment armé, dans un lieu tenu secret à proximité du tombeau afin d’être le dernier à l’avoir vu pour les siècles des siècles.

Nous venons d’évoquer largement de nombreuses facettes du XVIIe s. et de certains de leurs acteurs. J’espère que vous voudrez bien me pardonner de ne pas avoir traité de l’extraordinaire homme d’État que fut Richelieu. Mais ce n’était ni le lieu ni l’heure de faire un cours d’Histoire. Il y a des écoles pour cela. Ou plutôt, il n’y en a plus, si j’écoute la rumeur publique. À la place, je vous ai proposé une récréation sur des chemins buissonniers ! Mais pour me racheter, en guise d’hommage au Cardinal homme politique, je passe la parole à un expert en la matière : le tsar de toutes les Russies, Pierre Le Grand en personne qui, lors de l’unique séjour qu’il fit en France en 1718, alla s’incliner à la Sorbonne sur la tombe du Cardinal. Il y prononcera ces paroles d’admiration dans le style pompeux de l’époque : « Grand ministre, que n’es-tu né de mon temps ! Je t’aurais donné la moitié de mon Empire, pour m’apprendre à gouverner l’autre. » C’est Saint-Simon, qui s’y connaissait en hommes, qui nous rapporte cette anecdote.

François-Marie Legœuil
Conférence faite à Nîmes le 9 avril 2019

Bibliographie.

Monsieur Ménard : « Histoire Civile Ecclésiastique et Littéraire de la Ville de Nismes » à Paris 1754

Anonyme : « Histoire Abrégée de la Ville de Nîmes » publiée à Amsterdam en 1767

Fontrailles (BNF Gallica) : « Relation des choses particulières de la cour arrivées pendant la faveur de Monsieur de Cinq-Mars, grand écuyer, avec sa mort et celle de Monsieur De Thou. »

Anonyme BNF Gallica : « Supplice de Cinq-Mars et de Thou décapités à Lyon Place des Terreaux Relation d’un témoin » (publié en 1876)

Alfred de Vigny : Cinq-Mars, ou une conjuration sous Louis XIII.

Anonyme, édité à Cologne en 1696 : « Le Tableau de la Vie et du Gouvernement de M. les Cardinaux Richelieu et Mazarin »

M. de V***, Amsterdam 1717 : « Anecdotes du Ministère de Richelieu » 2 tomes

Anonyme, Avignon, 1704 : « Le Véritable Père Joseph, Capucin » 2 tomes

Tallement des Réaux in « Historiettes » (édition La Pléiade)

Abbé Henri Brémond  : Histoire Littéraire du sentiment religieux en France

Éric Zemmour in « Mélancolie Française ». Citation de Pierre Le Grand en Conclusion et la comédie Europe par Richelieu.

Laurent Avezou : Le tombeau littéraire de Richelieu, Genèse d’une héroïsation (Hypothèses 2002, 5

Roland Mousnier in « L’Homme Rouge », vie du Cardinal de Richelieu. Point I. et II.

Michel Carmona in « Richelieu. »

Clémentine Portier-Kaltenbach in « Histoire d’Os et autres illustres abattis ».

Jean-Marie Constant  : La Folle liberté des baroques 1600-1661

François Hildsheimer : Richelieu

François Bluche : Richelieu