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Le Méridional, voilà l’ennemi 

Le Midi, les Midis dans la IIIe République (1870-1940)
Actes du Colloque de Nérac
(13 mai 2011)
Par : Christian Amalvi, Alexandre Lafon, Céline Piot
Éditions d’Albret (2012) 331 pages 20€

méridional
« On connaît la nature impressionnable des Méridionaux… Qu’on les encadre et qu’on les mène au plus fort du feu pour leur donner, sans retard, la chance de la réparation à laquelle leur passé leur donne droit… » Cette phrase de Clémenceau du 25 août 1914 donne le ton dès l’introduction de ce Colloque de Nérac : en ce premier mois de guerre, le 15e corps, composé de Toulonnais et de Marseillais venait de se replier en désordre – presque une déroute, devant les mitrailleuses allemandes et la Presse parisienne s’était déchaînée contre ces couards.
Ces accusations de traîtrise et de couardise venaient de loin. Déjà en 1879, Armand de Pontmartin, le critique monarchiste, pourtant né à Avignon, mais reniant ses origines en germanopratin bon teint qu’il était, parlait ainsi des méridionnaux : « En les appelant les Prussiens de l’intérieur, nous les flattons encore, puisque les Prussiens ont au moins la discipline, la science, le courage… »

En février 1871, Alphonse Daudet, pourtant natif de Nîmes et qui n’avait, malgré ses efforts constants, jamais réussi à perdre son accent, amplifiait l’accusation en bon antirépublicain rendant ses compatriotes largement coupables du changement de régime : « Les gens du Midi ont été comme Gambetta, braillards, blagueurs, vaniteux, égoïstes, incapables et naïfs… Les Républicains du Midi se sont bornés à montrer qu’ils ne sont ni capables de s’abstenir de faire de la politique, ni concourir à la défense de leur pays… »

Toujours en 1871, pour Renan dans La Réforme Intellectuelle et Morale, les Méridionnaux sont bien responsables de la désagrégation du pays : « Si la France n’avait pas entraîné le Languedoc et la Provence dans son cercle d’activité, nous serions sérieux, actifs, protestants, parlementaires. » 

En 1892, Gaston Mery rédacteur à La Libre Parole jette en pâture à ses lecteurs ce peuple de « roublards… (de) rapaces… (une) association de forbans… qui légifère à la Chambre et au Sénat… (qui) concussionne dans l’administration… (qui) règne en maître dans les ministères… (et qui) vient de Nérac… de Bordeaux… (qui) vient du Midi enfin ! »
Guy Bechtel, en 1907, dans La Grande Révolte du Midi en rajoute une couche : « Par nature, il (le Méridional) fait de la politique, lit les journaux, aime à pérorer sur le forum… avec ce caractère… cette population devait accueillir avidement les doctrines socialistes et anti militaristes… le Midi est actuellement mûr pour le socialisme. Au point de vue moral, le Midi est actuellement totalement perverti… »
Mais attention ! Les Méridionaux – surtout ceux du Sud-ouest - ne sont pas les seuls coupables, il faut y inclure tous les autres « Latins » qui infestent ces régions. C’est du moins l’opinion de Huymans : « ces races de mendiants et de lâches, de fanfarons et d’imbéciles… ces êtres au brou de noix et aux yeux vernis… ces broyeurs de chocolat et de mâcheurs d’ail qui ne sont pas du tout Français, mais bien des Espagnols et des Italiens… »

Charles Bosse, en 1912 : « Prenez les hurleurs de la Chambre, et dites-moi s’ils ne sont pas tous de ce Midi odieux ! J’ai déjà écrit qu’elles empoisonnaient le pays, ces faces d’ébène et de pain trop cuit ! »

Ce que Léon Bloy, lui, ne supporte pas, c’est leur accent : « l’indégonflable vessie de leur bavardage et surtout l’exacerbante chaudronnerie de leur accent qui les rendent à peu près abominables à tout le reste du genre humain. »

À ce danger latin, Gaston Méry y ajoute un autre fautif : « Il y a un péril latin, et un péril juif… »
Charles Maurras développe ce point en rajoutant deux coupables : « Le Midi est en effet le point de la France où abondent à la fois les juifs et les protestants. La capitale des Dreyfus est aux alentours de Carpentras. Ce département du Vaucluse posséda les ghettos les plus garnis du territoire. Le Gard, le Tarn-et-Garonne, les Pyrénées-Orientales, l’Hérault et l’Ardèche sont des repères de Huguenots. La Franc-Maçonnerie trouvait donc le terrain aménagé pour elle. »
G.
Méry estime qu’il est stérile de faire ce détail, car c’est blanc bonnet et bonnet blanc : « Comme les Juifs, les Méridionaux se sont mêlés à nous, mais comme les Juifs on les reconnaît au premier coup d’œil. Leur accent… leur manque de tact… une odeur d’ail… Le Méridional se faufile partout… Le pouvoir est ce qui l’hypnotise, comme l’or hypnotise le Sémite. »  Comment s’étonner dans ces conditions qu’il résume la situation dans ce mot d’ordre lapidaire : « Le Méridional, voilà l’ennemi ! »

Même la littérature scolaire s’y était mise pour bien enfoncer le clou dans les enfantines caboches parisiennes : La France, ouvrage destiné aux bibliothèques scolaires décrivait en 1854 le Méridional comme bouillant, emporté, impatient, irrégulier dans le travail… et ses différentes composantes sont pires encore : le Gascon est vantard et menteur, l’Auvergnat, ignorant, entêté, âpre au gain… 

Les communications du Colloque se succèdent, abordant des sujets passionnants par des biais toujours saisissants : « L’odonymie en Midi rouge : une arme de républicanisation massive » ou « L’accent méridional à l’écran »… « Le Midi au front » avec bien entendu l’affaire du 15e corps ; « La culture du conflit en Languedoc » ; « Le Chicago français : Marseille dans (la revue) Détective » ; « Le Périgord à Paris au début de la IIIe République : Son excellence Oscar Bardi de Fourtou » et tant d’autres communications toutes plus étonnantes les unes que les autres…

Ce passionnant colloque borne ses réflexions à 1940. Après en avoir tourné la dernière page, je me suis demandé si le Paris de la première décennie de notre XXI siècle si antiraciste voyait encore le Midi ou les Midis de façon aussi caricaturale qu’alors ? C’est ce que nous ne saurons pas. Alors, je vous propose une piste d’enquête personnelle : interrogez donc quelques-uns de ces si nombreux Wallons, Flamands, Allemands, Suisses et autres touristes qui se pressent dans nos contrées en apportant même – pour certains - leur papier toilette, de peur de se mélanger avec l’indigène. Et faites-moi part de leurs réponses. Je gage que beaucoup vous diront « Ah, que le Midi serait agréable sans les Méridionaux ! »

 

Et entre-temps, un seul mot d’ordre :
lisez les Actes du Colloque de Nérac !
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