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Qontribucion de la revu Lé Cayer de l’Arch
a la réphaurme de l’ortografe

1990 et 1991 ont été des années de l’orthographe. D’abord parce qu’en 1990, la dictée de Bernard Pivot a connu une participation record de candidats : plusieurs milliers en Indonésie et en Malaisie, pays pourtant peu connus pour leur francophonie, et ensuite parce que notre Premier Ministre d’alors – monsieur Joxe - a voulu marquer son règne par une réforme de l’orthographe confiée au Révérend Père Druon, de l’Académie Françoise. Aussitôt deux clans se sont affrontés avec violence : les pour et les contre. En tant que seule Revue Historique, Littéraire et Poétique des Terroirs Agricoles Français, nous ne pouvons rester indifférents à ce grave problème qui menace l’unité nationale et nous suggérons que les adhérents d’ARCH les plus motivés, engagent sans tarder une recherche exhaustive sur « L’histoire des raiphormes de l’aurtografe, des origines à Meucieu Joxe ainclu.  »
Pour clarifier le débat, comme on dit sur nos petits écrans, voici quelques repères. C’est en 1535 avec l’Ordonnance de Villers-Cotterets de François 1er que le français devient la langue de l’État et de ses documents officiels. Qui dit "officiel", dit "contrôle" et Richelieu crée en 1634 l’Académie Française chargée, entre autres, de codifier l’orthographe et le bon usage du parler françois. Mais il faudra encore deux siècles, pour qu’en 1832, notre bon roi bourgeois Louis-Philippe, décrète que l’on ne pourra plus occuper un poste dans la Fonction Publique si l’on ne prouve pas sa maîtrise de l’orthographe française orthodoxe, c’est à dire celle codifiée par le Dictionnaire de l’Académie. La notion de faute d’orthographe quitte le monde des mondanités et des salons pour entrer officiellement dans le monde de la fonction publique et par conséquent de la politique.
L’orthographe actuelle a déjà une longue histoire et n’est pas sortie toute armée de la cuisse de Jupiter ou de celle de l’Académie. Pour s’en convaincre, il n’est que de relire ces quelques paroles de Rabelais contant comment Gargamelle, sur le point de mettre au monde son fils Gargantua, croyait que ses maux de ventre n’étaient que des coliques provoquées par la ventrée d’andouillettes et de tripes à la mode de Caen qu’elle venait de bâfrer :

« Chapitre IV Comment Gargamelle entant grose de Gargantua, mangea grand planté de trippes. L’occasion et manière comment Gargantua enfanta fuet telle. Et, si ne le croyez, que le fondement vous escappe ! Le fondement luy escappoit une après disnée, le troisième jour de féburier, par trop avoir mangé de gaudebillaux. Gaudebillaux sont grasses trippes de coiraux. Coiraux sont beufz engraissez à la crèche et prez guimaulz. Prez guimaulz sont prez qui portent herbes deux foys l’an... Les trippes feurent copieuses, comme entendez, et tant friandes estoyent que chascun en leschoit ses doitz... Nonobstant les remontrances de Grandgousier, elle en mangea seze muiz, deux bussards et six tupins. Ô belle matière fécale, qui débvait boursouffler en elle ! … Gargamelle commença à se porter mal du bas … et les femmes … la tastant par le bas, trouvarent quelques pellauderies, assez de mauluais goust et pensoyent que ce feust ]’enfant, mais c’estoit le fondement qui luy escappoit, à la mollification du droict intestin, lequel vous appelez le boyau culier, par trop avoir mangé de trippes.  »

Que pensez-vous de cette orthographe ? C’est à peu près à cette même époque, au XVIesiècle, que l’ami Clément Marot et ses copains de La Pléiade, fins connaisseurs de grec ancien et de latin, pensaient à juste titre que le français devait remplacer le latin dans la littérature nationale et ils en firent une merveilleuse promotion. Mais les cuistres « faux-lettrés » de l’époque s’y mirent aussi, et estimèrent que la façon d’écrire ce français fraîchement promu à une existence officielle, sentait encore trop la bouse des glaiseux et qu’il était impensable de s’en remettre à l’orthographe par trop simple de ce peuple de cul-terreux et de paysans. À la moindre possibilité de choix, on décida souvent de faire compliqué là où on aurait pu faire simple. C’est ainsi par exemple que « omme » pris une « h » pour rappeler son origine latine d’Hominus, et que diarrhée pris deux « r » et une « h » pour bien montrer que venant du grec le « r » se prononçait avec plus d’insistance qu’en français ordinaire ; ce qui, entre nous, se justifie pleinement car la diarrhée est en général une chose plutôt insistante : toutes ces raisons ont été approuvées par les médecins, car un mot médical doit s’écrire et se prononcer difficilement pour être le moins possible accessible au vulgaire patient de base que nous sommes. Relisez votre dernière ordonnance et vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire. On multiplia dans la foulée les redoublements de lettres.

Certaines professions pour se donner du lustre, s’ajoutèrent également des lettres : c’est ainsi que l’Uissier devint un Huissier… ce qui en fait quand même un état plus imposant. Remarquons que cette pratique professionnelle est toujours en usage : c’est vers 1960 que les oculistes de mon enfance, insatisfaits de la racine latine de leur nom, ou bien craignant que l’ignorance populaire ne leur attribue une autre spécialité plus en rapport avec la sonorité de la deuxième syllabe, ont préféré, pour se désigner, le mot d’origine grecque « ophtalmo » qui fait quand même plus savant. Comme on l’a dit plus haut, les médecins ont toujours aimé se pousser du col, Pour les dentiste c’est du pareil au même : « dentiste », cela se comprenait trop bien et certaines catégories de dentiste sont devenus dans les années soixante-dix, des « Orthodontistes », ce qui est quand même plus sérieux, même si ce n’est pas moins douloureux pour le patient. C’est peu de temps après, dans les années 1970, qu’un « traitement médical », notion qui fait vraiment un peu trop ordinaire et par là risque de donner des doutes sur l’efficacité dudit traitement, s’est mis à s’appeler une « thérapie », ce qui vous en conviendrez, avec cette racine grecque vous guérit tout de suite un peu mieux. Et, cerise sur le gâteau comme on dit outre-Atlantique – on fait la nique au croquant de base qui, voulant faire cultivé, mais avec un métro de retard, parle de thérapeutique, l’inculte…

C’est dans les années 1500, qu’on inventa même une nouvelle lettre, totalement inutile : le « Y », qui vient elle aussi du grec comme son nom l’indique. Mais en même temps, on décida de généraliser l’usage de la ponctuation : point, point-virgule, virgule, points d’exclamation, d’interrogation et de suspension etc. car jusqu’alors, à part quelques farfelus qui « ponctuaient » (mais de temps à autre seulement, au hasard, comme d’autres éternuaient), le commun des mortels écrivaient des mots qui se suivaient à la queue-leu-leu. Il fallait donc lire les textes à haute voix pour en comprendre le sens. Lisez certains « nouveaux-romans et vous comprendrez ce que je veux dire. Prenez par exemple ceux de Duras - Margueritte pour les intimes- avant qu’elle ne quitte sa première manière d’écriture pour adolescents boutonneux et ne tombe, avec « L’Amant » dans le roman de gare pour fillette pré-pubère. Bref, comme le dit Sempé si « rien n’est simple » en orthographe, c’est largement à cette époque de la Renaissance qu’on le doit. Ensuite, la vie et les siècles ont ajouté leurs propres complications. Bref l’orthographe, c’est comme un chêne dont les racines viennent du fond des siècles, dont le dessin des branches ne s’explique pas toujours rationnellement, mais dont il est bien difficile d’élaguer certains rameaux sans risquer de porter atteinte à l’arbre lui-même.

Au XVIIe siècle, Colbert, grand organisateur du prestige du Roi Soleil et de l’hexagone, voulut que le français devienne le langage du monde civilisé c’est à dire de l’Europe. Pour cela, il décida d’entamer un vaste programme de simplification et de clarification de la langue, programme dont l’Académie française et son dictionnaire étaient chargés d’être le bras séculier. Et pour mieux inciter les quarante immortels à soutenir sa politique, il y fit élire son poulain, grand commis de l’état, Charles Perrault en personne, celui des « Contes de Perrault ». Perrault eut fort à faire pour accélérer les travaux des Quarante, qui pour commencer, mirent cinq semaines pour décider que la lettre « A » était bien une voyelle et non pas un « substantif masculin ». Le 8 mai 1673 , date historique, Charles Perrault demanda que l’on fixa « autant que possible l’orthographe … qui depuis quarante ou cinquante ans avoit esté fort corrompue par des demy sçavants, et estoit devenue presqu’arbitraire  ». Il demanda la suppression des doubles lettres : « Je ne m’opposerai pas à la suppression de ces lettres doubles là … dans la mesure où elles n’existaient pas dans le mot latin correspondant !  » Et le samedi 8 Juin 1679, il fit décider que les participes présents seraient désormais invariables, alors que jusqu’ici ils s’accordaient, comme le montre l’exemple qu’il avait choisi pour illustrer son propos : « les satyres portants un panier de fleurs  ». Il avait cité aussi « les ayants cause ». Mais hélas ! Cette dernière locution étant un terme juridique, et les juristes étant, comme chacun sait, des plus conservateurs, ils firent obstruction à cette réforme épouvantable et ces « ayants cause » sont restés une exception dans notre langue. Ayant réglé le sort des participes présents, Charles Perrault allait s’attaquer aux participes passés pour les rendre invariables, lorsqu’il mourut, hélas ! Ce décès mit fin à ce projet ce qui nous vaut, presque quatre siècles après, d’apprendre que les participes passés, avec le verbe avoir, s’accordent si le complément d’objet direct est placé avant l’auxiliaire : à quoi tient notre grammaire ! Mais attention ! N’allez quand même pas croire que l’orthographe n’est qu’une affaire de hasard. C’est aussi la gardienne de la bonne prononciation, comme nous le montre du reste encore l’ami Perrault (qui n’a rien à voir avec l’ami Pierrot, preuve encore de tout l’intérêt de l’orthographe !) avec la façon d’écrire le mot « cu ». Au XVIIe siècle on pouvait écrire « cû » comme nous le démontre ce court chef d’œuvre de la main du grand Perrault :

« Métamorphose du Cû d’Iris en Astre
…Il trouve justement Mercure à son passage
Hé bien, as-tu fais bon voyage ?
Lui dit-il. Que m’apportes-tu ?
- Sire. je vous apporte un Cû
- Un Cû mon fils ! C’est bien le diable,
Répondit ce dieu tout surpris !
- Oui mon père, un Cû véritable,
Mais un Cû qui n’a point de prix.
C’est le Cû de la jeune Iris.
Rien dans le ciel ne lui ressemble.
Et c’est un Cû que les Grâces ont fait.
Ce n’est qu’en cet unique objet
Qu’on les peut voir toutes ensemble.
Il est d’un éclat sans pareil.
Quand nous l’aurons ici sans jupes et sans voiles,
Il fera pâlir le soleil,
Et rougir toutes les étoiles.
Le souverain maître des cieux
... Résout sur le champ de proposer aux dieux
D’en faire un nouveau luminaire. 
 »

Perrault réclamait que l’on n’utilisa les « chapeaux » (c’est à dire les accents circonflexes) qu’aux endroits dont on voulait souligner l’allongement de la prononciation : ce qui était tout indiqué pour le « cû », dont le « u » se prononce long, puisque la chose est d’importance. L’usage n’a pas gardé le circonflexe sur le « û », mais on écrivait naguère encore « cul » pour bien marquer la longueur de la syllabe. Cet usage s’est maintenu jusqu’en 1935, date à laquelle s’est substitué officiellement la graphie « cu ». Notons que la perte du « l » puis de celle du « circonflexe » sur ce même « u », est intervenue au moment où la psychanalyse s’est développée : faut-il y voir une corrélation ? Je pense quant à moi que oui ! Car cet objet est le fondement même de cet art… si je puis oser le mot de fondement… Mais c’est bien certain que l’orthographe la plus traditionnelle de « cu » est bien cul ou cû, comme l’avait noté Perrault, et comme nous le démontre encore une fois avec brio Rabelais dans son Chapitre II de Gargantua qui s’intitule : « Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un Torchecul  ». En tant que Revue Littéraire et Agricole, nous nous devons de citer largement cet excellent texte de ce maître de la langue « françoise », qui ne l’oublions pas, est encore (mais pour peu de temps, je gage) au programme de toutes les écoles de la République. Grandgousier, le père géant du jeune géant Gargantua âgé de cinq ans au moment du récit, s’aperçoit que son géant de fils possède une intelligence hors du commun, en l’écoutant résoudre ce grave problème que se pose l’Humanité depuis le père Adam :

« Quel est le meilleur des torche-culs ? …J’ai, répondit Garguntua, par longue et soigneuse expérience, inventé un moyen de me torcher le cul, le plus royal, le plus excellent, le plus expédient qui jamais fut vu… Je me torchai une fois le cul d’un cache-nez de velours d’une damoiselle, et le trouvai bon, car la mollesse de sa soie me causait au fondement une volupté bien grande ; une autre fois d’un chaperon d’icelle, et fut de même ; une autre fois des oreillettes de satin cramoisi, mais la dorure d’un tas de sphères de merde qui y étaient, m’écorchèrent tout le derrière ; que le feu Saint-Antoine brûle le boyau culier ( vous voyez là toute l’utilité du « L » pour faire du substantif « cu » un adjectif… NDLR ) de l’orfèvre qui les fit et de la damoiselle qui les portait ! Ce mal passa en me torchant d’un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse ; puis, fientant derrière un buisson, trouvai un chat de Mars ; d’icelui me torchai, mais ses griffes m’ulcérèrent tout le périnée. De ce, me guérit le lendemain, me torchant des gants de ma mère bien parfumés de maujoint. Puis me torchai de sauge, de fenouil, d’anis, de marjolaine, de roses, de feuilles de courge, de bettes, de pampres, de guimauve, de bouillon blanc qui est écarlate de cul, de laitues et de feuilles d’épinard -le tout me fit grand bien à la jambe - de mercuriale, de persicaire, d’orties ; mais j’ai eu une caquesangue (colique) de Lombard, dont fut guéri me torchant de ma braguette. Puis me torchai aux draps du lit, à la couverture, aux rideaux, aux coussins, à la nappe, dans un mouchoir, un peignoir... Mais concluant, je dis et je maintiens qu’il n’y a tel Torchecul que d’un oison bien duveté, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique, tant par la douceur d’icelui duvet que par la chaleur tempérée de l’oison, laquelle est communiquée au boyau culier, jusques à venir à la région du cœur et du cerveau. Et sachez que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont par les Champs-élyséens, est, selon mon opinion, en ce qu’ils se torchent le cul d’un oison, et telle est aussi l’opinion du Doctor Subtilis, Maître Jean d’écosse. »

Ainsi, à la complexification croissante de l’orthographe à la Renaissance, s’est opposé à partir du XVIIe un effort contraire de simplification. Mais il faudra attendre le XVIIIe siècle, celui de la Raison et des tables rases, et l’écrivain Nicolas-Edmée Restif de le Bretonne, pour proposer une réforme radicale de l’orthographe, qu’il a, du reste, mise en vigueur dans certains de ses livres. C’est la raison pour laquelle, ceux de ses livres qui en ont bénéficié, ne peuvent plus aujourd’hui être imprimés dans leur forme originale, mais doivent faire préalablement l’objet d’une retranscription en orthographe courante et ordinaire. Restif affirme : « nous réformerons l’orthographe afin que le monde écrive comme il parle…  » Mais comme décidément rien n’est simple, et que Restif est un esprit très personnel, il décide aussi la suppression de certaines lettres pour gagner du temps, notamment les « n » et les « m » accompagnant les voyelles nasales ; et pour qu’on les identifie ces lettres manquantes, il complique tout de suite sa propre simplification en mettant un tilde sur la voyelle. Il écrit ainsi « ō a egsaminé » avec un tilde sur le « o » pour indiquer qu’il faut prononcer « on ». Il supprime aussi les doubles lettres ; mais comme il adore les doubles « s », il conserve ces dernières, en gardant en plus leur ancienne graphie « ƒ » qu’il trouve visuellement très belle, car il faut dire qu’il était typographe de métier et artiste de tempérament. De même, il aime tellement les « u », qu’il les écrit toujours majuscule, même à l’intérieur d’un mot. S’il simplifia beaucoup, il compliqua au moins autant, pour satisfaire ses goûts et ses lubies, qu’il prenait pour des règles raisonnables et universelles. Pour vous permettre de juger sur pièces du résultat, citons par exemple les pages 3009 et 3010 de l’édition originale de la « CLVI NUIT DE PARIS » où Nicolas-Edmée présente le détail programme des cours pour la rentrée de Faculté. Comme vous le constaterez, il s’arrête de temps à autre, en cours de paragraphe pour nous prévenir qu’il va modifier ses propres règles d’orthographe et d’accentuation qu’il employait jusqu’ici, pour en suivre d’autres et permettre ainsi à ses lecteurs de mieux forger leur opinion sur cet important sujet en ayant sous les yeux des exemples différents.

« CLVI NUIT DE PARIS : …Mr. Departfiùs uvrira le curs de çète anée, par l’Aftronomie, cōsidérée come fiãfe fisiqe. Après avōr établi qèlqes nofiōs jénérales für le fistème dù mōde, é für lês aparãfes que nus présãtét fãs-fêffe lês fénomènes çélèftes, il pãffera a lùr ècfplicafiō, fōdés für le mùvemãt ennùèl é jurnaliér de le Têre. Il egsaminera ãfùite lês aparãfes q’ofrirèt notre fiftème a û Observatùr plafé ô fãtre dù Solèh, é il finira par l’ècfposifiō dês grãdes décuvèrtes de Newtō, à çe jãre, é par L’ecfplicafiō dù flùs é du reflùs de la mèr. Vèrs le comãfemãt dù carême, il ãtreprãdra l’Optiqe, mês für u plã diférãt de çelùi q’il a fùivi l’anée dérnière, é tèl qe, dãs fès il prùves-de-fèt, il pùiffe fe difpãfér de recourir os rãyōf du Solèh, jùfq’a çe qe çèt Aftre, plus-élevé, ét parevenù a l’éqinocfe, pérmète ùne füite d’ècfpériâfes, qe lê Suferiptùrs oblijés de qitér Paris ō mōf de mè, ne vérrêt jamès, si èles étêt remises tus lês âs ō plüs-bōs jurs d’été. La Météorolojie, prise dãs le fãs le plüs étâdû, rãplira le rèfte de l’anée ; é ù préfis de nos conêffâfes lê plüs fertènes relativemãt a l’ère, ō flùides élaftiqes, a l’ō é a l’élèctrifité, préfèdera xaq’ùne dês parties de çète fiãfe. (On fent qe dans l’impreffion, les lettres accentuées ne coûtent pas plûs a mettre, que les autres : au lieu que dans l’écriture, tout ce qui retarde la courfe rapide eft très gênant ; Je propose donc : Ortografe curfive pour l’écriture feulement). Hiftoir -naturelle. ō s’et borné, dãs ce curs, o Règne animal e o vejetal. ō a dirijé l’étude du premier vers l’egsamen des focfiôs importãtes, dôt l’êefãble côftitue la vie des Animos, diftiinge ces ètres, e les elève o deffus de tus les otres, a proporfiô q’ils egferfet pluf u môis parfetmât u plus u mois grãd nōbre de ces fōcfiōs. ( Il n’y aurait aucun inconvénient à supprimer les « n » ét les « m » aux voyelles nazales ; cela fe fulpplée aisement : Mais fi on ne le veut pas, écrivōs de la manière fuivante : ) On a egsaminé de mème les divers organes, depuis l’Omme, jufqu’os derniers Animos. Dè que le retur de la bèle féson a permis de fe procuré des plantes frèches, on a comanfé les élémans de Botanique.  »

Cher lecteur, êtes-vous convaincu par cet essai d’orthographe raisonnée mise au point par ce délicieux penseur raisonnable, éclairé et philosophe, mais totalement rêveur, de ce siècle de la Raison ? Il est certain que Nicolas-Edmée était un prédestiné des réformes de l’orthographe : il écrivait son nom Restif, mais il semble bien que la véritable graphie de son nom était Rétif. Mais alors, à mon humble avis, et compte tenu de tout ce que l’on vient de dire, la suppression du « s » de Restif aurait logiquement dû entrainer un accent circonflexe : « Rêtif », et non pas l’accent aigu de « Rétif » comme l’intéressé l’écrit lui-même. Je crois que Restif nous donne par son nom, une indication que sa propre réforme de l’orthographe n’obéit pas à la logique, mais bien plutôt à la poésie et à la beauté visuelle, du moins telle qu’il la concevait. Les Cahiers de l’Arch, qui en ont vu d’autres, n’ont pas peur de signaler que Restif commet une imposture de premier plan : il s’attribue, comme on vient de le voir, la suppression de certaines consonnes après une voyelle, suppression qu’il se propose de signaler avec un accent sur la voyelle. Et bien, ces suppressions, ces abréviations signalées par le signe "-", appelé "tilde", étaient des procédés d’abréviation en usage depuis des siècles et semblable à nos procédés modernes qui consistent, par exemple, à écrire « C.G.T. » ou « max. » en faisant suivre la lettre d’un point, pour marquer l’abréviation. Vous pouvez avoir rapidement une illustration de l’ancienneté de ces pratiques en regardant autour de vous, par exemple à l’église de Louveciennes (Yvelines) si vous avez la curiosité de lire la plaque de pierre placée au fond de la nef à droite de la porte, en entrant. Cette pierre, vieille de 535 ans, confirme un testament de 1455, faisant un leg à la Fabrique (c’est à dire à l’administration de la paroisse) pour dire des messes « d’Obit » à la mémoire d’un habitant de la ville :

« La fabrique de cette eglise de Sainct Martĭ de louveciênes est tenue § obligee de faire dire chāter et celebrer chǔn an toujōs ppetuelleḿt un obit ƒollemnel cest afavoĭ vigilles a IX pƒaumes § IX leccons § meƒƒe a note de requiẽ le premier vẽdredi dapres la purificatiō nře dame et une baƒƒe meƒƒe de requiẽ viii jōs après la puriƒicatiō pour le salut des ames de feu regnault de la fonteine lequel trespaƒƒa le siḿe jō de décembre lan m cccc lvi & de ihāne sa feme qui pō ce faire ont laiƒƒier aladite fabrique certaĭs irritaiges aƒƒis en cette ville de louveciênes & au třouer devrō cōme il appert plusaplain př letẽs ƒur ce faites & paƒƒees eñt les marguilẽrs de cette dite église & les executs dudi regnault lan m cccc lvii le mercredi xx ie davril paẽs paƒqs pries dieu q pardon le face ».

À première vue, il semble qu’une « traduction » soit nécessaire, il n’en est rien : il suffit de rétablir l’orthographe moderne en procédant aux quelques opérations suivantes : changer les « ƒ » en « s » à l’intérieur des mots ; mettre la ponctuation, mettre les accents sur les « é » mettre les apostrophes et les cédilles compléter le mot lorsqu’on voit un tilde « » sur une lettre, ce qui nous indique une abréviation et enfin séparer les mots collés ensembles. Alors tout devient clair et je vous invite à comparer les deux textes (j’ai mis quelques explications entre parenthèses) :

« La Fabrique de cette église de Saint Martin de Louveciennes est tenue et obligée de faire dire, chanter et célébrer chacun an (chaque année) à toujours perpétuellement un Obit solennel, c’est à savoir : Vigiles à 9 Psaumes et 9 Leçons et Messe à Note de Requiem le premier Vendredi d’après la Purification ((de)) Notre Dame et une Basse Messe de Requiem 8 jours après ladite Purification, pour le salut des âmes de Regnault de la Fonteine, lequel trépassa le sizième jour de décembre l’An 1456, et de Jehanne sa femme, qui pour ce faire ont laissé à ladite Fabrique certains héritages assis en cette ville de Louveciennes et au terroir d’environs, comme il appert plus à plain par Lettres sur ce ((motif)) faites et passées entre les Marguilliers de cette dite église et les exécuteurs ((testamentaires)) dudit Regnault l’An 1457, le mercredi vingtième d’Avril après Pâques. Priez Dieu que pardon leurs fasse Amen  ».

L’église Saint Gervais-Saint-Protais de Gisors nous en donne un autre exemple. Au 17e siècle, la peste sévissait à Gisors. Les paroissiens multipliaient les processions et les messes solennelles, si bien qu’avec le temps l’épidémie capitula devant une telle ferveur et consentit enfin à quitter les lieux. Les Gisorciens reconnaissants offrirent un vitrail à Notre Dame qu’ils appelèrent « de Liesse » pour souligner leur grande joie, et ils y inscrivirent ceci :

« Cōme en lan 1634 prist fin une peste horrible
Messire Robert Denyau curé de ceās et les bōrgeois de
Gisors remercient Notre Dame en sō église de Liesse. 
 »

Quatre mots ont un tilde sur la voyelle pour marquer la suppression de la lettre suivante : « comme » « céans » « son » et « bourgeois ». Juste en face, le nettoyage de l’église a découvert un bout de fresque représentant Moïse descendant du mont Sinaï en brandissant les Tables de la Loi. En s’approchant bien, on peut lire trois commandements, avec des lettres supprimées et des tildes sur la voyelle précédente. Je recopie tel quel en respectant les césures :

« Luxurieux point ne seras
De corps ne de cōƒentemẽt
Lavoir dautruy tu ne nẽbleras (?)
Ne retiendras
A tō escient.
Faux temoĭgnage ne diras
ne mẽtiras au (mot effacé)
 »

Si on voit un tilde sur le « i » de « témoignage »,c’est parce qu’à l’époque on disait « témoingnage ». Alors sacré Restif ou Rétif, tu veux nous faire prendre des vessies pour des lanternes, et faire passer des procédés anciens pour des réformes originales de ta part ! Sacré farceur !

En conclusion – qui, sur un tel sujet ne peut être que provisoire - certaines de nos lectrices parmi les plus assidues, nous déclarent à chaque parution que Les Cahiers de l’Arch seraient truffés de fautes d’orthographe. Soyons clair, il n’en est rien ! Une Revue de la classe de ARCH ne peut pas faire des fautes d’orthographe. Alors de deux choses l’une : ou bien ce ne sont des fautes de frappe sur un clavier… un doigt qui glisse… ou alors ce sont des fautes volontaires destinées a faire participer nos lecteurs à ce grand mouvement de simplification de l’orthographe qui a commencé depuis que le français existe et qui ne se terminera qu’avec lui.

François-Marie Legœuil, Cahiers de l’Arch N°7 1991