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La baleine est-elle habitable ?

La publicité nous le répète à l’envie : « Allez chez le poissonnier chercher des idées ». J’ai donc fini par entrer chez le poissonnier de Saint-Germain-en-Laye pour poser la question qui me tarabustait depuis des mois « Cher Monsieur, pourriez-vous me dire si la baleine c’est très habitable, ou si c’est juste un studio avec kitchenette ? » Les explications n’ont pas été très claires : disons entre la carpe et le brochet. Tout d’abord, il en ressortait que la boutique n’avait aucune compétence en matière de baleine et qu’il fallait peut-être consulter un boucher, vu que le bestiau n’était pas un poisson ; qu’ensuite, un artisan ne devait être dérangé, surtout dans ce métier quand on est en période de carême, d’autant qu’on a déjà supprimé le vendredi ce qui a porté bien du préjudice au commerce du poisson ; qu’enfin, on ne perdait jamais de temps à répondre à ce genre de question, sauf quand il s’agissait de sondage pour la Télévision. Or je n’avais pas, paraît-il, une tête de présentateur. Ma vocation d’interviewer brisée dans l’œuf (de lump), il ne me restait plus qu’à interroger les morts, je veux dire les bons auteurs.

C’est au cinquième jour...

J’ai donc commencé par le début, c’est-à-dire par la Bible : Ce n’est que le cinquième jour que Dieu crée « les monstres marins et tous les êtres vivants qui se meuvent et dont les eaux pullulent ». (Genèse 1,21). Il ne lui restait plus dès lors qu’à créer l’homme le sixième jour, ce qui le fatigua et l’obligea à se reposer le dimanche. Depuis ce fameux cinquième jour de la Genèse, cette baleine a tellement impressionné nos ancêtres, que les Psaumes bibliques lui ont donné un nom, Léviathan : « Léviathan l’immense fait écumer l’océan comme marmite qui bouillonne ! » Notez que l’auteur de la Genèse, à la différence du poissonnier, ne se mouille pas quant à l’appartenance de l’animal il parle de monstre marin. Mammifère ou poisson, pour lui c’est tout un, et il en rajoute même en imprécision « Les grands monstres » certes, mais grands comment ? Eh bien, il fallut attendre des siècles pour en savoir plus.

Vade retro, Asmodée : c’est du foie de baleine !

Le premier héros qui se soit frotté, au sens littéral du terme, à la baleine ou du moins à un gros poisson, et dont l’histoire ait gardé le souvenir, c’est Tobie. La baleine a joué par deux fois un rôle décisif dans sa vie et dans celle de son père Tobit (avec un « t » vous tâcherez de ne pas l’oublier, alors que le fils s’appelle Tobie avec un « e », vous tâcherez de ne pas l’oublier non plus ) mais il n’y a pas séjourné, aussi nous passerons rapidement sur son cas. Le père Tobit, quoique pieux, était aveugle depuis quatre années, quand il fiance son fils à la magnifique Sarra (avec deux « r » tâchez de ne pas l’oublier !) Sarra quoique pieuse avait un gros problème : le Démon Asmodée la poursuivait de sa colère, et pour des raisons que nous aimerions bien connaître, lui avait tué systématiquement ses premiers maris, à chaque fois « juste avant qu’ils ne se fussent unis à elle comme il est prescrit aux épouses ». Aussi la vox populi commençait à répandre le bruit qu’Asmodée avait bon dos et que c’était en fait la douce Sarra qui avait des mœurs de Barbe Bleue et zigouillait elle-même ses prétendants ; mais personne ne pouvait lui trouver de mobile. La belle Sarra souffrait beaucoup de ces médisances.

Le cœur et le foie, fais les fumer devant une femme ...

Tobit (avec un « t ») demande à Tobie (avec un « e ») de partir épouser Sarra. Malgré les circonstances un peu délicates que nous avons rappelées ci-dessus, il accepte, manifestant par là un grand courage pour prendre la suite des sept postulants démoniaquement trucidés. Arrêtez de pleurer dans les chaumières ! En chemin, comme il fait chaud, Tobie fils (avec un « e ») s’arrête pour se baigner dans le fleuve Tigre et un « gros poisson » cherche à lui croquer le pied. L’Ange Azarias qui passait par hasard par là, apparaît alors et lui commande : « Attrape le Poisson et tiens-le bien ; ouvre-le, enlève-lui fiel, le cœur et le foie, garde-les avec toi car c’est un bon remède. Le cœur et le foie, fais les fumer devant une femme attaquée par un démon et toutes attaques en seront écartées ; Quant au fiel, frottes-en les yeux d’un homme aveugle, souffle dessus et il recouvrera la vue ! »

L’amour n’a pas d’odorat...

À la vue de la beauté de Sarra, le fils Tobie tombe amoureux et veut alors l’épouser incontinent. Persévérante malgré ses sept précédents échecs, Sarra ne se le fait pas dire deux fois et accepte. Tobie qui est un habitué du surnaturel, reçoit cette fois la visite de l’Ange Raphaël qui lui veut du bien, et qui lui suggère de déposer le foie du poisson dans un brûle-parfum au pied de la nuptiale couche. Pendant le festin de noce, Ragouël, le père de Sarra, en homme précautionneux, commence à faire creuser la huitième tombe au fond de son jardin : pour lui, un nouveau mari ne peut que lui amener un nouveau cadavre ! Les jeunes époux se couchent et le démon Asmodée se précipite pour la huitième fois, fidèle à ses démoniaques habitudes. Mais nom d’un diable quelle odeur épouvantable que ce foie ! et ce cœur pourri ! encore pire ! Ah non, je ne peux rester ! et le démon incommodé s’enfuit au grand galop de ses pieds fourchus. Et il y a de quoi ! Rappelez-vous qu’il s’agit d’un foie vieux de plusieurs jours, et avec le soleil d’enfer qui sévit dans le pays... « Il n’est pas frais mon poisson ? » Les deux tourtereaux, tout à leur affaire, n’en sont, eux, aucunement incommodés : si l’amour est aveugle comme l’affirme le dicton, il semble aussi qu’il n’a pas d’odorat ! Et la huitième nuit de noce de Sarra se passa très bien. Revenu chez lui avec sa belle et ce qui est mieux, la moitié des biens de son beau-père, Tobie (avec un « e » ) suit les conseils de l’Ange Raphaël et frotte le fiel sur les yeux de son père Tobit (avec un « t » ), souffle sur ses paupières et le vieillard recouvre la vue. Quel jugement porter sur cette aventure ? Le Flâneur, votre auteur préféré ne s’aventurera pas à émettre des hypothèses et se contentera de noter que le Livre de Jonas ne fait pas partie des Livres canoniques Juifs ni de ceux des Protestants. Quant aux Catholiques, il leur a fallu attendre le Concile de Trente en 1546, soit deux mille ans après les faits, pour le ranger dans les écrits canoniques. Attendons donc encore mille ans pour nous prononcer.

Retenons qu’il s’agit là de la première apparition en public de la baleine depuis sa création au cinquième jour. Notons que s’il s’agit bien de baleine, ce ne pourrait être qu’une baleine d’eau douce ! Ce qui constituerait une grande première ! Mais en tout état de cause, il s’agit là d’une simple rencontre et il reste encore aux humains à visiter le Léviathan de l’intérieur, ce que va s’empresser de faire notre héros suivant.

Le premier à squatter une baleine :
un petit prophète Juif qui y vécut soixante-douze heures...

C’est un gars assez connu, puisqu’il s’agit de Jonas qui vivait au temps de Jéroboam II, qui, comme vous le savez, régnait sur Jérusalem vers 760 avant Jésus-Christ. Mais attention ! Ce Jonas n’est pas une grosse légume, puisqu’il ne fait partie que des Petits Prophètes, qui sont douze comme il se doit, en compagnie de célébrités tels que Osée, Michée, Abdias, Hababuc, Sophonie et compagnie. Jéhovah, sans aucune concertation avec l’intéressé comme il en a la fâcheuse habitude, décide d’envoyer Jonas convertir Ninive dont les habitants sont aussi épouvantables que ceux de Sodome et quasi aussi détestables que ceux de Gomorrhe. Jonas qui a une trouille bleue de ces gredins, essaye de jouer au plus fin avec son créateur, en s’embarquant clandestinement sur un bateau. Grosse tempête, risque de naufrage... Cornichon mais honnête homme, il avoue au Capitaine qu’il a une triste affaire avec Dieu qui veut le punir en coulant le navire. Pour apaiser la colère Divine, tout l’équipage comme un seul homme, tombe d’accord pour balancer Jonas par-dessus bord, comme un clandestin ordinaire, sans prendre en considération sa qualité de prophète ; il est vrai que l’équipage était païen... et que le prophète était petit...

...Qui priait à la vitesse de 0,4027 versets à l’heure...

Mais Yahvé ne veut pas la mort du pécheur et se débrouille « pour qu’il y ait un grand poisson pour avaler Jonas ; Et Jonas fut dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits ». (Jonas 11, 2) Pendant ces soixante douze heures, Jonas occupa son temps à se repentir et à prier. On sait tout de ses prières que nous détaillent longuement vingt neuf versets de la Bible. Notons que vingt neuf versets pour soixante douze heures, ça fait 0,4027 versets à l’heure : Jonas, pour un prophète, n’était pas vraiment très inspiré, ou alors il bégayait, hypothèse qui a ma préférence. On nous dit tout de sa conversation avec le ciel, comment il se repent et en quels termes, mais on nous cache ce détail capital : il était grand comment ce poisson ? Ce qu’il y a d’ennuyeux avec la Bible, c’est que ce genre de détail ne l’intéresse pas du tout ; si bien que l’on n’apprendra rien sur cette fameuse baleine, que certaines traductions qualifient du reste de grand poisson. Et l’on s’étonne ensuite que le populaire préfère lire France Dimanche !

Un graveur médiéval qui n’avait jamais vu la mer...

Mais ARCH, votre excellente Revue ne voulant pas déchoir de son rang de « La Plus Grande Revue Historique, Littéraire et Sporadique des Terroirs Agricoles Français », vous propose ci-dessous, une illustration, qui datant du XVIe n’a donc pas pas pu été dessinée « live » comme disent les jeunes d’aujourd’hui, mais vingt-deux siècles plus tard. En conséquence la direction d’ARCH précise à ses fidèles lecteurs qu’il ne saurait en aucun cas s’agir d’un document de première main. Au vu de ce document et sans être Buffon, on peut affirmer sans crainte, après un examen rapide, que ce poisson n’est pas une baleine : des fanons ? non, mais des dents. On peut aussi constater que le dit poisson n’est guère plus grand que Jonas, j’ai vérifié avec une règle graduée : Jonas a dû avoir la tête coincée contre les dents de l’animal, et les talons en appuis contre l’arête de la queue. Vous direz qu’il n’y a pas d’arête dans une baleine, vu que c’est un mammifère, mais peu importe ! Quoiqu’il en soit, Jonas a dû attraper des crampes ... Puis, Yahvé ordonna au poisson de vomir Jonas sur la terre ferme. C’était un poisson robuste et plein de santé pour mettre soixante douze heures à vomir un gars coincé contre ses amygdales ; d’autant que ce stupide animal ne s’y résout que sur ordre de son créateur... Mais réfléchissons au fait que le graveur du seizième siècle habitait probablement Paris et n’avait donc de la mer qu’une idée très intellectuelle, et de la baleine qu’une conception très floue.

La déplorable mansuétude d’El Chaddaï et ce qui s’en suivit...

Il ne fallut ensuite à Jonas que deux jours seulement de prédication pour convertir les Ninivites ; pour ma part je les trouve très peu endurcis ces mécréants, pour revenir sur la droite voie en quarante-huit heures ; et moi qui les comparais aux Sodomites... El Chaddaï (Dieu, Yahvé, Jéhovah ou El Chaddaï, ce sont les noms de Dieu…) dans sa mansuétude, satisfait du résultat, n’accable pas les malheureux Ninivites des cataclysmes annoncés. Alors Jonas qui, pour les convertir, leur avait prédit en vain des choses épouvantables, perd la face vis-à-vis de ces mécréants et, furieux de cette clémence divine qui jette le doute sur ses capacités de prophète de malheur, houspille son Créateur en ces termes : « Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir en bateau, car je savais que tu es un Dieu compatissant et lent à la colère... »

Le ricin qui perd ses feuilles et un crâne qui pèle...

Et rancunier, le petit prophète s’en va s’asseoir derrière les remparts, bouder sous un soleil de plomb. Mais Dieu, qui lui n’est pas du tout rancunier, fait pousser en quelques instants un ricin magnifique, pour abriter des ardeurs du soleil son petit prophète chéri, qui s’endort du sommeil du juste à l’ombre désormais fraîche du ricin. Mais l’humour de Dieu est aussi insondable que ses voies. Aussi, lorsque Jonas se réveille, le ricin a perdu toutes ses feuilles et il a pris un coup de soleil d’enfer sur son crâne chauve qui pèle comme un client du Club Med arrivé de la veille à la Martinique. C’est de cette manière que Jonas comprit que Jéhovah disposait vraiment du destin des hommes : punir ou non les méchants Ninivites, peler le crâne de son porte-parole préféré, faire pousser ou dépérir un ricin, faire avaler et recracher un prophète par une baleine ! C’est comme cela qu’il y a près de 3.000 ans un petit prophète juif fuyant la colère du ciel, devint malgré lui le premier squatter de baleine et établit le premier record de séjour en cétacé avec soixante douze heures.

Le Grec bat le record du Juif avec un séjour en baleine
de 9 mois et 5 jours, soit 13.920 heures.

Il fallut ensuite attendre six siècles pour qu’un Grec relève le défi du Juif pour la durée du squat en baleine. Et là, rien à voir avec les petites mesquineries de la baleine à Jonas : c’est un séjour de 13.920 heures, et peut-être plus si l’année était bissextile un séjour rempli d’aventures épiques, dans des entrailles vastes comme un univers. C’est en effet vers 185 avant notre àre, que Lucien de Samosate s’embarqua pour un voyage d’exploration des immensités océanes, sur la trace des grands navigateurs Phéniciens. Mais écoutons-le, à vingt siècles de distance, nous raconter son aventure dans son « Histoire véritable d’un voyage dans la Lune » :

Elle avait des dents longues comme des phallus en bois...

« Un jour, touché d’un noble désir de voir et d’apprendre des choses nouvelles, nous nous embarquâmes à cinquante compagnons dans un vaisseau bien équipé et pourvu d’un bon pilote, et cinglâmes des colonnes d’Hercule vers la mer Atlantique, pour découvrir la grandeur de l’Océan et voir s’il y avait quelques peuples au-delà... Au troisième jour, au lever du soleil, nous vîmes nager quantité de baleines, dont une d’environ 1.500 stades (180 kilomètres de long) qui faisait blanchir la mer tout à l’entour. Elle avait des dents longues comme les phallus de bois que portent les jeunes filles aux fêtes de Dionysos, et blanches comme de l’ivoire. Lorsque nous la vîmes venir à nous la gueule ouverte, nous recommandâmes nos âmes aux dieux et nous nous embrassâmes l’un l’autre, pour ne pas être séparés même dans la mort. » Comme le soulignera plus tard Rabelais dans le Quart Livre, en se mélangeant un peu les pinceaux avec les références bibliques, la baleine est un animal des plus voraces : « Fuyons. C’est par la mort bœuf, Léviathan, descript par le noble prophète Moïse en la vie du saint homme Job. Il nous avalera tous et gens et nefs comme pilules. »

Et c’est ce qui va arriver à Lucien... Mais cédons-lui la parole :
Plusieurs sépulcres et une fontaine très claire...

« La baleine nous engloutit tous ensemble avec notre navire. Lorsqu’elle vint à nouveau à ouvrir la gueule, nous vîmes un grand et large monstre capable de loger dix mille habitants. Il y avait à l’intérieur des carcasses d’hommes et d’animaux, des balles de marchandises, des ancres et des mâts de navires, et vers le milieu, une terre et des montagnes qui étaient faites à mon avis du limon qu’elle avalait en quantité. Il y avait même une forêt et toutes sortes d’arbres et de plantes comme en un pays cultivé, qui avait trente milles de tour. On y voyait quantité d’alcyons et de hérons qui avaient fait leurs nids dans les bois ; Nous y trouvâmes un petit temple dédié à Neptune comme en témoignait l’inscription, et ensuite plusieurs sépulcres et une fontaine très claire... puis ayant allumé un feu nous nous mîmes à table... »

La baleine baillait une fois par heure...

Explorant l’île de l’estomac, nos amis y rencontrèrent des Grecs naufragés depuis des années et qui menaient une longue guerre contre les autres peuples à demi humains de l’île : les Taricanes à têtes d’écrevisses, les Tritonomendettes à corps de chats et têtes humaines, les Carcinoquires aux mains de crabes et les Cynocéphales à têtes de chiens. Lucien ayant battu tour à tour ces peuplades terribles, se consacra à l’agriculture pendant un an et demi. La baleine baillait exactement une fois par heure, ce qui permettait à nos Grecs de compter le temps écoulé. Mais les dents trop acérées les empêchaient de s’enfuir... « Après ces événements, ne pouvant endurer un plus long séjour dans la baleine, il nous prit envie de creuser un trou dans le côté droit. Mais après avoir creusé cinq cents ou six cents pas (200 mètres) sans trouver le fond de la baleine, nous jugeâmes plus à propos de mettre le feu à la forêt pour faire mourir le monstre. La baleine brûla sept jours entiers sans rien sentir. Mais vers la fin du septième jour, elle baillait plus lentement, ce qui nous fit penser qu’elle commençait à mal se porter. Vers la fin du onzième jour, nous nous aperçûmes qu’elle se mourait car elle sentait de plus en plus mauvais. Si bien que le lendemain, pendant un bâillement, nous traversâmes sa gueule en la bloquant avec de grosses poutres pour l’empêcher de se refermer. »

De la baleine... à la lune...

Lucien de Samosate et ses matelots délivrés, rendent grâces aux dieux avec un sacrifice et reprennent leur odyssée qui les mènera en bateau… tout simplement sur la Lune ! Mais c’est là une autre histoire ! Avec Lucien, on est bien loin de la baleine de Jonas... pour un monstre, c’est un monstre ! Presque deux cents kilomètres de long ! Tout s’éclaire : si Dieu a dû se reposer le septième jour, ce n’est pas parce qu’il venait de créer l’Homme, mais parce qu’il avait fabriqué de sa main le cinquième jour, un animal aussi colossal ! Grâce à cet équipage de Grecs intrépides, nous savons maintenant que la baleine est plus qu’habitable, c’est un monde avec une mer intérieure, des îles, des forêts et des peuples qui se font des guerres sans merci. Mais bien des détails nous laissent sur notre faim : notamment d’où venait la lumière dans l’estomac de l’animal ? Le Grec étant parti dans la lune et n’en étant pas revenu, nous ne le saurons jamais.

Les Irlandais, pionniers de la Messe de minuit sur baleine.
Navigant pieusement sur leurs auges de pierre...

Jonas avait inauguré, bien malgré lui, l’utilisation religieuse de la baleine en passant 72 heures à jeûner, prier et chanter des psaumes dans les tripes du Monstre. Après l’intermède des Grecs qui n’avaient pensé, comme à leur d’habitude, qu’à explorer le poisson et à combattre tous ceux qu’ils y rencontraient, les Irlandais renouèrent avec la tradition du peuple élu : la baleine considérée comme un lieu idéal de prière. Mais en amateurs de grand large, de vent et de soleil, ils choisirent, à l’inverse de Jonas, de prier sur son dos et non dedans. Ces Irlandais, c’étaient à l’époque de grands navigateurs, et même les premiers navigateurs solitaires, bien avant Bombard. Depuis le Ve siècle, dans la foulée de saint Colomban, saint Patrick, saint Jacut, saint Samson et les autres, ils avaient pris la curieuse habitude d’arriver en Bretagne sur des auges de pierre qui flottaient, à cette époque héroïque, comme de bons navires en bois, mais avec une coque de pierre bien plus solide. Il faut dire que ces arrivées en pareil équipage sur le territoire breton, frappaient les imaginations des indigènes et facilitaient les opérations de conversion. Nous supposons que c’est la raison pour laquelle ils avaient fini par adopter des embarcations aussi farfelues.

Des peaux de bœuf bien ointes de poix ...

En 1130, saint Brendan, abbé de Saint-Patrick, était déjà bien vieux et terminait à peine son apprentissage de la sainteté. Il décida de réaliser avant de mourir son rêve d’enfance : voir le Paradis Terrestre. C’était à son modeste avis une chose possible, puisque son filleul le bon moine Mernoc qui venait de rentrer d’un périple maritime en auge de pierre, racontait qu’il avait séjourné « dans un lieu où ne parviennent que les hommes pieux, une île de la mer où ne souffle aucune tempête, et où pour toute nourriture on respire l’odeur des fleurs du Paradis au son des mélodies des anges, tant cette île en est proche. » En ce temps-là les auges de pierre étaient en train de passer de mode, et c’est pourquoi, en homme moderne, il fit construire un grand navire « en bois de sapin, recouvert de peaux de bœuf bien ointes de poix afin que la nef put glisser légèrement et courir sur l’onde... » Et Brendan s’embarqua avec ses trois cents moines... : « Les moines dressent le mat et tendent la voile. Bellement ils voguent les hommes de Dieu. La brise leur vient de l’Orient et les poussent vers l’Occident. Ils perdent tout de vue, sauf la mer et les nues. Le vent favorable ne les rend pas oisifs... ils naviguent à l’aviron de toutes leurs forces, car ils ne craignent pas de peiner de leurs corps pour atteindre le but de leur voyage... »

L’île se mit en mouvement et s’éloigna de la nef...

Ils rencontrent et visitent une première île, celle du Château du Diable, puis l’île aux Brebis, et le matin de Noël arrivent en vue d’une troisième île : « Brendan cingle vers l’île et Dieu lui donne bon vent. Sans peine ils accostent et les frères se hâtent de sortir, sauf Brendan qui demeure en la nef. La nuit et le matin, comme en une église, ils font un beau service plénier. Puis ils prennent la viande qu’ils avaient apportée et vont dans le pays chercher des bûches ; à terre ils préparent leur repas et allument le feu. Le repas prêt, leur Bailli commande : Maintenant asseyez-vous ! Or à l’instant, tous de s’écrier : Ah seigneur Abbé, secours-nous ! Car toute l’île se mettait en mouvement et s’éloignait de la nef. L’abbé s’écrie : Ne craignez rien et invoquez le seigneur. Prenez toutes vos provisions et venez à moi dans la nef ! Il leur jette des pièces de bois et de longues cordes. Les moines, non sans mouiller leurs robes, entrent dans le navire, et aussitôt leur île de s’enfuir. Voici maintenant à dix lieues, le feu qu’ils avaient allumé. Frères, leur dit Brendan, savez-vous pourquoi vous eûtes peur ? ce n’est pas sur la terre que nous avons célébré Noël, mais sur le plus grand des poissons des mers. Ne vous émerveillez pas mes frères. Dieu vous a amené ici pour mieux vous instruire ; plus vous verrez de ses merveilles, plus vous croirez en lui, plus vous le craindrez et obéirez à ses commandements. Le Divin Roi a créé ce poisson bien avant tous les autres. »

Et les pieux irlandais reprennent la mer : Après l’île des Oiseaux, le Moustier de Saint Albeu, le Puits de l’Enfer, la Fontaine de l’Oubli et la Chaudière Retrouvée, ils découvriront le Paradis et regagneront l’Irlande pour témoigner des splendeurs du séjour des élus qu’ils racontèrent dans « La Chronique de la Navigation de saint Brendan ». Mais ceci est encore une autre histoire.

Du haut de ces vertèbres de baleine, écoutez, mes frères, la Parole de Dieu !

Cette tradition de l’utilisation religieuse de la baleine se continuera presque jusqu’à nos jours. C’est en effet vers 1850 que le célèbre capitaine baleinier Achab va partir à la poursuite de Moby Dick, la baleine blanche. Il finira par disparaître avec elle dans les profondeurs marines. Un soir de novembre, le harponneur Quiequeg rejoint le bord à Nantucket, le grand port baleinier de la côte Est américaine. Mais auparavant, il entre dans l’église des baleiniers pour prier Dieu et ses Saints de lui épargner le naufrage pendant sa longue campagne en mer. Tous les équipages en partance sont là et le curé Mapple, lui-même ancien harponneur entré sur le tard dans les ordres, célèbre la messe. L’heure du sermon est venue et Mapple monte chaire en utilisant une échelle de corde du type de celles qui pendent aux coupées des vaisseaux et permettent l’escalade depuis les chaloupes. Son église, c’est un vrai baleinier ! L’empiètement de la chaire est constitué par des vertèbres de baleine empilées, et la tribune par une proue de baleinière. De chaque côté, sont accrochés des memento mori, sur des plaques de marbre bordées de noir « Robert Long, Willis Ellerv, Nithan Colemen, Walter Canny, composant l’équipage d’une des baleiniéres de l’Elisa, qui fut entraînée par une baleine et perdue de vue, au grand large, dans le Pacifique, le 31 décembre 1839 ». Ou encore : « Consacrée à la mémoire de feu le Capitaine Ezéchiel Hardy tué à la proue de son embarcation par un cachalot le 3 août 1883, cette plaque a été apposée en souvenir par sa veuve. » Le curé commanda à son assistance de se rassembler : « Les travées de tribord, là-bas ! poussez-vous sur bâbord. Vous, de bâbord, tirez sur tribord ! Tenez-vous sur le maître couple ! » et en préliminaire, attaqua l’hymne que Job chantait dans le ventre de la baleine :

« Les ténébreux arceaux au sein de la baleine
Voûtaient sur moi la nuit des pires épouvantes.
Cependant que de Dieu, la vague ensoleillée
Je portais au plus noir du triste châtiment.
Je voyais s’entrouvrir les portes de l’enfer :
Les tourments éternels et les plaintes sans fin
Dont ne peuvent parler que les âmes damnées.
Oh, dans quel désespoir ces affres me plongeaient !
J’ai invoqué mon Dieu dans la pire détresse,
Ce Dieu que je n’osais plus appeler le mien !
Et sur ma plainte il a incliné son oreille :
La baleine n’est plus maintenant ma prison. »

Et le curé Mapple se mit à prêcher en ces termes sur Jonas, à ses fidèles baleiniers :

« Mes très chers frères, capelez-vous au dernier verset du premier chapitre de Jonas : Or Dieu avait préparé un grand poisson pour engloutir Jonas... voyez-le maintenant empoigné comme une ancre et jeté à la mer... il coule au sein de la tempête, et s’enfonce, emporté dans un tel tourbillon, qu’il se rend compte à peine du moment où il est avalé par la gueule béante qui l’attendait. Et les dents d’ivoire de la mâchoire refermée sont tout autant de blancs verrous sur sa prison. L’exemple de Jonas, camarades marins, je ne vous l’ai point donné pour que vous l’imitiez dans son péché ; je vous le donne et le mets sous vos yeux comme un modéle de repentir. Ne péchez point : mais si vous péchez, tâchez alors de vous en repentir de même que Jonas. Aux mots que prononçait le prédicateur, les houles sonores de la tempête au dehors, ses assauts et ses déversements, semblaient donner plus de force encore, et tandis qu’il décrivait la grande tempête de Jonas excitée sur la mer, on l’eût dit emporté lui-même sur les ailes du vent. Sa poitrine profonde s’enflait comme la houle ; son geste ressemblait au déchaînement des éléments ; et les tonnerres habitaient son front, semblait-il, faisant jaillir des éclairs de ses yeux... ! »

Aussi muettement que le lacet de soie des muets bourreaux turcs...

Quiequeb prend la mer sous les ordres du capitaine Achab et se lance dans l’épique poursuite de Moby Dick. Achab, à la proue de la baleinière assure dans sa main le harpon pour frapper la baleine blanche « C’est vers toi que je roule, cachalot destructeur de tout mais sans victoire jusqu’au bout, je m’empoigne avec toi ; du sein de l’enfer, je te frappe ; par la vertu de la haine, je crache sur toi jusqu’à mon dernier souffle. Engloutis, fais sombrer dans un même abîme cercueils et corbillards ! Et puisque miens ils ne peuvent être, que je sois démembré et mis en piéces alors que je te chasse, cachalot maudit, et même lié à toi ! voici, je te donne mon fer ! Le harpon fut lancé le cachalot frappé prit sa course en avant. La ligne se dévida comme l’éclair, filant dans la rainure où elle se coinça. Achab, alors, se pencha sur elle pour la mettre claire, et la mit claire... mais le ligne libre, en volant, lui passa autour du cou et l’emporta sans un cri, aussi muettement que le lacet de soie des muets bourreaux turcs. Enlevé du canot avant que les hommes d’équipage eussent rien vu... et fila dans les profondeurs après avoir fouetté la mer. »

On ne sait pas ce que devint Achab ; peut-être tourne-t-il encore autour du monde, traîné par Moby-Dick. Ou peut-être réussit-il à entrer dans la baleine et à y vivre une retraite bien méritée de baleinier harponneur...

Du Grec à Pinocchio :
permanence d’une tradition d’exploration intérieure de la baleine

Louis-Napoléon, le criquet, l’étoile et Figaro

Depuis Lucien de Samosate jusqu’à l’époque moderne, plus personne n’a visité ou habité de baleines. Il nous faut attendre le dix neuvième siècle et Collodi, pour une nouvelle exploration, assortie pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, de gravures réalisées sur le vif. C’était l’époque où le Prince Président de la République, Louis Napoléon, commençait à songer à devenir l’Empereur Napoléon III, vers 1850 donc, que dans un village italien, commence l’histoire suivante, à la façon d’une crèche de santons provençaux : Le criquet gardien de ta conscience... Une nuit, il y a bien longtemps de cela, l’Etoile du soir brille d’un éclat particulier sur l’atelier du bon vieux sculpteur sur bois, Geppetto, qui vient de terminer la plus merveilleuse marionnette qui soit. « Regardez, dit-il à son chat Figaro et à son poisson rouge Cléo : n’est-ce pas qu’elle ressemble à un vrai petit garçon. Je l’appelle Pinocchio ! » La Fée bleue apparaît et pour récompenser le bon vieillard, lève sa baguette : « Réveille-toi Pinocchio ! le bon Geppetto a besoin d’un fils. Si tu sais être brave et sincère, tu deviendras un vrai petit garçon ! Pour te conserver dans le droit chemin, je nomme Jimini le criquet Gardien de ta conscience ! »

Malheureusement, Pinocchio se livre à la débauche en se mettant à fumer la pipe...

Hélas, hélas... cédant aux promesses de Grandcoquin et de Gédéon, le petit Pinocchio quitte Geppetto pour courir à l’île aux Plaisirs, où il commence à vivre une vie de débauches horribles en apprenant à jouer au billard et à fumer la pipe. Alors des oreilles d’âne lui poussent sur la tête, tandis que son nez s’allonge sous le poids de ses mensonges répétés. Une lettre apportée par le vent, le remplit de remords : « Mon cher Pinocchio. J’ai appris que tu t’étais enfui pour 1’île aux Plaisirs. Avec Cléo et Figaro, nous sommes partis à ta recherche sur une barque. En vue de l’île, la baleine Géante Monstro nous a avalés. J’habite dans son estomac, dans la coque d’un vieux galion que Monstro a englouti dans le temps. Je pêche pour nous nourrir, mais quand Monstro dort, aucun poisson n’entre dans sa gueule. Aussi, depuis trois jours, je n’ai péché qu’un vieux livre de cuisine « Comment Accommoder le Poisson » , ce qui ne m’est pas très utile en ce moment. J’ai bien peur que nous ne mourrions de faim. Ton père affectionné, Geppetto. »

Le livre de recettes du cuisinier militaire en campagne de mon beau-père…

Pinocchio réussit à rejoindre Gepetto, Cléo et Figaro en explorant le fond de la mer : pour rester au fond, il s’attacha une grosse pierre à sa queue d’âne pour s’empêcher de remonter et c’est dans cet équipage qu’il retrouva sa famille. Le père, le fils, le poisson, le chat et le criquet, s’en tireront, comme s’en étaient tirés les Grecs mille cinq cents ans plus tôt : ils mettent le feu au galion ; la fumée fait éternuer Monstro qui recrache nos amis. Si je vous ai raconté un peu l’histoire, c’est, d’une part parce que vous avez dû l’oublier, et que surtout Geppetto revenu chez lui, dessine pour la postérité l’intérieur de Monstro, Et c’est la première, et du reste la dernière vue de l’intérieur d’une baleine géante que nous ayons. (voir les photos ci–contre) Car n’oubliez pas que la baleine de Jonas avait été dessinée plus de mille années après les faits par un dessinateur de Nuremberg qui n’avait jamais vu la mer. ARCH, toujours à la pointe de l’information, vous offre donc, sur double page de mauvaise photocopie, ce dessin inoubliable où vous pouvez voir l’intérieur de cet estomac, haut comme l’Arche de la Défense, les îles de sable où Geppetto pêche, le vieux galion et même, si vous cherchez bien, le livre de cuisine attrapé par Geppetto. Tout y est ! Munissez-vous d’une loupe, et vous pourrez même déchiffrer sur la première page de ce bouquin, la recette de la truite au bleue pour une compagnie sur pied de guerre. C’est en effet le livre de cuisine intitulé « Recettes du Cuisinier en Campagne » modèle 1840, modifié 1882, dernière édition 1939, qui fut en vigueur dans l’armée française jusqu’en février 1942. Mais ce livre, dont j’ai vérifié le contenu chez mon beau-père – Polytechnicien officier d’artillerie en 1940 – qui en possèdait dans son paquetage un exemplaire de toute beauté que j’ai lu attentivement et avec délices. Je puis vous assurer que – hélas ! – il ne contient aucune recette pour cuisiner la baleine. Dans cette histoire de baleine, on trouve donc des juifs, des Grecs, des irlandais, des Américains, des Italiens, et on ne trouverait aucun Français ?

Faites comme les chanoines de Bayonne : En carême, mangez de la langue de baleine !

En effet, au cours de ce passionnant article, vous avez vu le rôle joué par les juifs, les Grecs, les Irlandais, les Américains et même les italiens. Mais de Français en 2.000 ans : aucun ! J’en ai parlé à une amie japonaise qui m’a dit : les Français c’est sûrement dans la bouffe qu’il faut les chercher ! J’ai donc cherché dans la bouffe et naturellement j’ai trouvé ! Les Français ont de tout temps préféré se mettre la baleine dans leur propre estomac, que de se fourrer comme les autres, dans l’estomac des baleines avec tous les problèmes que l’on connaît pour se tirer de cet endroit sinistre. Ce qui m’a mis sur la piste des Français, c’est ce cri des métiers qu’on entendit dans les rues de Paris, de l’an mille jusqu’à la guerre de 14 :

De crier je suis hors d’haleine
C’est viande de carême ;
Elle est bonne à gens qui l’aiment. »

On comprend tout de suite qu’on accommodait le morceau de baleine avec des pois, tout comme le lard ou le petit salé. Mais ce plat ne devait pas être terrible puisqu’on pouvait en consommer pendant le carême sans rompre l’abstinence. Il est vrai qu’on avait longtemps hésité entre viande et poisson pour les cétacés, puisque le « Viandier de Taillevant » à la bibliothèque Vaticane, classait au moyen-âge la baleine dans les poissons de mer... plats, entre la plie et la sole. Il est vrai que ce classement se justifiait car les Parisiens ne connaissaient la baleine qu’en tranche plate, comme la morue ! Mais dans la baleine, c’était surtout la langue qui était appréciée. Ambroise Paré, le célèbre chirurgien français de François 1er, affirme : « La chair des baleines n’est rien estimée ; mais la langue pour ce qu’elle est molle et délicieuse, les Basques la salent semblablement et ils la distribuent en beaucoup de provinces. Ils gardent la gresse pour brusler et frotter leurs bateaux, laquelle estant fondue ne congèle jamais ». Les Basques depuis l’Antiquité coursaient la baleine à travers tout le Golfe de Gascogne sur leurs fragiles baleinières : les armes de Biarritz portent deux coquilles Saint-Jacques, l’étoile de la mer, une chaloupe avec harponneur, barreur et trois rameurs poursuivant une baleine. Les barriots capturèrent leur dernier cétacé en 1686, et le Chapitre de la Cathédrale de Bayonne à qui ils offraient les langues pour le Carême dut se rabattre après cette date sur la poule d’eau considérée elle aussi comme viande d’abstinence puisqu’elle se nourrit tellement de poissons, que l’on croit en la mangeant, déguster des anguilles. Au terme de cette longue et passionnante enquête, il est désormais grand temps de se poser une question essentielle :

Mais à quoi donc sert la baleine ?
À guerroyer dans son estomac comme Lucien de Samosate ?
À dire la messe sur son dos comme saint Brendan ?
À prêcher sur ses vertèbres comme le curé de Moby Dick ?
À y passer ses week-ends comme Geppetto ?
Je vois que vous donnez votre langue à la baleine.

La réponse se trouve dans les Psaumes : Les baleines sont faites pour s’amuser et et faisant distraire le Créateur :

« Voici la mer, grande et vaste en tous sens
Où fourmillent sans nombre
Des animaux petits et grands,
Là se promènent les navires
Et le Léviathan que Tu as fait
Pour qu’il s’amuse dans les flots. »

Sir Thomas Herbert le confirmait encore au XVIIIe siècle dans son Voyage en Afrique et en Asie : « Sur leur route, ils aperçurent nombre de baleines folâtres s’ébattant dans la mer, qui s’égayaient à lancer des jets d’eau par les pipes et les vents que la nature leur a placés aux épaules. » Ô lecteur ! J’espère que comme la baleine, vous avez bien folâtré vous aussi en suivant ces divagations marines et je pense que la fatigue doit peser sur vos paupières. Avant de vous livrer à une bonne sieste réparatrice, je vous dédie cette ballade de Paul Fort :

Les baleines
Du temps qu’on allait encore aux baleines,
si loin que ça faisait, mat’lot, pleurer nos belles,
y avait sur chaque route un Jésus en croix,
y avait des marquis couverts de dentelles,
y avait la Sainte vierge et y avait le roi !

Du temps qu’on allait encore aux baleines,
si loin que ça faisait, mat’lot, pleurer nos belles,
y avait des marins qui avaient la foi,
et des grands seigneurs qui crachaient sur elle,
y avait la Sainte vierge et y avait le roi !

Eh bien, à présent, tout le monde est content
c’est pas pour dire, mat’lot, mais on est content !…
y a plus d’grands seigneurs ni d’Jésus qui tienne,
y a la république et y a le président, et y plus d’baleines ! (L’amour marin)

Le Flâneur sachant flâner
1990 ARCH, Le Journal Littéraire, Historique et Sporadique des Terroirs Agricoles Français