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Musée de l’Inzolite à Lignerolles (Orne)

Ah, oui, vraiment ! C’était inzolite ! Non seulement parce que ce « z » roulait notre langue en un « th » so British, mais surtout parce que le soleil dissipait la brume et, encore bas sur l’horizon, illuminait en perles par transparence les gouttes d’eau prisonnières des myriades de toiles d’araignée tendues entre les barreaux du portail. La brume s’effilochait, le soleil éclatait, l’atmosphère transpirait ses vapeurs. En un mot, c’était un glorieux matin percheron d’arrière-saison.

Dans le dédale de cette ancienne buvette épicerie restaurant de village, l’inzolite monsieur Marzorati expliquait son inzolite démarche : accumuler tous les objets quotidiens de ce passé tout récent que les dinosaures que nous sommes ont encore bien connu dans leur enfance, mais qui paraissent si vieux, si inzolites à nos petits-enfants audio-vidéo-connectés. Monsieur inzolite entonne Le Banquet des Maires :

« Enfants gâtés de mon canton
Depuis quatorze ans je suis maire
Bien que je me flatte dit-on
D’être un peu réactionnaire… »

J’entends l’accordéon… il n’y en a pas. Il nous explique le fameux Père-la-colique, figurine en tôle peinte, accroupi, culotte baissée : « on lui met une petite pastille, on allume la pile, et hop ! Une crotte ! » Chez nos grands-parents encore plus dinosaures, Rabelais n’est jamais loin.

Un mur couvert de petites photos dentelées : départ en vélo des Congés payés… 4CV Renault lustrées à la peau de chamois… nous tous sur les plages d’après-guerre en maillots de bain en laine tricotée, communiants en spencer et brassard blanc à franges, fiers chasseurs alpins au béret incliné à la Jean Gabin pour séduire les filles… On passe une porte : des étagères de postes de TSF, bois vernis, cadrans de bakélite et de mica ; tourne-disques Teppaz et Radiola de nos surprises-parties ; des piles de 78 tours, celui du dessus Tout va très bien Madame la marquise… Des amoncellements de Nous-Deux aux couleurs pastel remplies de jeunes filles en robes vichy à jupons, bouche bée devant de jeunes médecins bien sous tous rapports… On passe une porte : des machines à calculer d’avant le déluge, c’est-à-dire avant 1980 ; je me souviens : on tourne la manivelle deux fois, ça sonne ! c’est pour la virgule ; on tourne la manivelle à l’envers et le résultat est là : vous voyez, je sais encore m’en servir !

On passe une porte : une bibliothèque de livres scolaires. J’en prends un : « Par l’Effort, livre de lecture courante pour aider à la formation de la Volonté » avec le sous-titre suivant : « Toute nature ne peut produire son fruit sans extrême travail, et même douleur. (Bernard Palissy) ». Instituteurs de l’Hexagone, voilez-vous la face et faites repentance pour ce temps où cinq fautes à la dictée valaient zéro ! La Volonté, le travail ? Quelle horreur ! De l’air, de l’air !

Je pousse une porte : partout des têtes empaillées, cerfs, biches, chevreuils ; tiens ! un tamanoir entier… Je suis un étroitissime couloir et je tombe sur une table d’accouchement nickelée où patiente, assise, une mannequine (féminin, revoyez votre théorie du Gender) en pyjama de soie blanche ; un squelette (substantif masculin, sexe indéterminé, revoyez votre théorie etc.) avec lampe frontale et stéthoscope l’ausculte patiemment… tandis que sur les murs des affiches proclament : « Fuyez le petit verre comme la peste… jusqu’à quatorze mois rien que du lait aux enfants ! » Je réalise que je suis en Normandie et qu’après quatorze mois, après tout, une petite « goutte » aide les dents de lait à percer. Le « tire-lait Maman, entièrement pneumatique, entièrement stérilisable, modèle déposé » me donne le frisson ;

je passe. J’entends M. Marzorati entonner Le Banquet des Maires pour une nouvelle fournée d’amateurs, je double une élève en celluloïd assise sur son banc de classe recouvert de cahiers quadrillés Héraclès, la bouche pleine de Bons-Points et non pas de chewing-gum et c’est la sortie.

Les dernières buées s’en vont, le soleil s’active… Ah, un petit nuage noir : nous sommes toujours dans le Perche ! Nos amis philosophes se regroupent vers le car qui doit nous ramener vers notre le chef-lieu de canton : la vieille France rurale n’est jamais très loin en France et encore plus près dans le Perche.

Octobre 2013, François-Marie Legœuil

Si vous souhaitez visiter ce musée, cliquer sur ce lien : Musée de l’Inzolite à Lignerolles