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Comment flâner en littéraire...

restif Dans le Paris de la Révolution, en pleine Terreur, Nicolas Edme Restif de la Bretonne arpentait les rues, gravant sa signature sur les parapets des quais et des ponts. Ces déambulations nocturnes se terminaient dans son misérable galetas où il écrivait sa chronique quotidienne avant l’aube pour pouvoir l’imprimer. Ses vagabondages alimentaient les 3.000 pages des « Nuits de Paris ou le Spectateur Nocturne, » où flâneries piétonnières, intellectuelles et littéraires se confondent.

Au XXe siècle, la flânerie a été très bien illustrée : Walter Benjamin et son Paris capitale du XIXe siècle, Léon-Paul Fargue et « Le Piéton de Paris », Aragon et « Le Paysan de Paris », et tant d’autres… Flâner suppose du loisir. L’Antiquité faisait de l’otium un cadeau des dieux, comme nous le confirme Virgile dans sa 1e « Églogue des Bucoliques » : « Tu apprends à faire résonner les forêts de "douce Amaryllis". / Ô Mélibée, un dieu nous a fait ces loisirs » Les Évangiles ne sont pas en reste en nous faisant un devoir de lever le nez de nos occupations : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit... » (Mt 6, 26)

Le XVIIIe siècle nous avait gracieusement légué les merveilleuses « Rêveries du Promeneur Solitaire. » Mais déjà Kant (qui à mon humble avis avait une âme de puritain) annonce le siècle de fer – le XIXe – dans ses Réflexions sur l’éducation : « L’homme est le seul animal qui doit travailler… Il est tout aussi faux de s’imaginer que si Adam et Ève étaient demeurés au paradis, ils n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature. »

Le tournant était pris, et au XIXe et surtout au début du XXe le travail devient un impératif quasiment catégorique. En 1919 avec F. W. Taylor « (La Direction des ateliers) », le travail devient l’alpha et l’oméga de la condition humaine : « La paresse naturelle des hommes est grave ; mais le mal de beaucoup le plus grand, dont souffrent ouvriers et patrons, c’est la flânerie systématique à peu près universelle… La majeure partie de la flânerie systématique est pratiquée par des ouvriers avec l’intention délibérée de tenir leur patron dans l’ignorance de la vitesse à laquelle on peut faire un travail. »

Un des rares à proclamer le contraire est Paul Lafargue dans son fameux Droit à la Paresse qu’il écrivit depuis sa cellulle de la prison Sainte-Pélagie en 1883 : « Ô Paresse, prends pitié de notre longue misère ! Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses humaines ! »

En 1881 dans Aurores (Livre III), Nietzsche partageait cet avis : « Le dur labeur du matin au soir… tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine… » En 1930, dans son surprenant Dieu est-il Français ? F. Sieburg affirmait : « ...je ne souhaite gagner du temps qu’à condition que l’on me laisse disposer librement du temps ainsi gagné, de préférence, en flânant, allongé dans l’herbe. »

Ayant sacrifié pendant quarante années de ma vie d’adulte aux principes de Taylor et aux injonctions de Kant, il convient désormais pour moi de suivre la douce pente préconisée par Virgile et de me glisser dans les pas de Rousseau, de Lafargue et de Sieburg tout en faisant mienne la sage sentence de Lessing :

« Paressons en toutes choses
hormis en aimant et en buvant
hormis en paressant…
 »

tout en Trinkant à la sagesse de Thélème :

« Toute leur règle tenait en cette clause :
Fais ce que voudras
 »

Je me suis donc mis à folâtrer dans la littérature en suivant uniquement mon bon plaisir. Il en est résulté un certain nombre de textes que je vous propose (sommaire en début de page). Si d’aventure ils ne vous plaisaient pas, suivez donc sans hésiter votre bon plaisir et quittez ce site.

François-Marie Legœuil