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La moustache du cardinal de Richelieu


De son vivant, la moustache du Cardinal était ainsi qualifiée : « À la cavalière sous le nez et à la royale au menton... »

Je vous convie à la chapelle de la Sorbonne à Paris, bâtie par Richelieu et où il se fit inhumer. Un tombeau princier :

Jusqu’à la Révolution, pas de problème : Armand Jean repose tranquille sous son mausolée de marbre blanc. Pendant cent cinquante ans, son gisant en tenue cardinalice, par Girardon, restera soutenu par la Religion en pleurs :

tandis que la Doctrine Chrétienne continuera à lui baigner les pieds de ses larmes :

Mais le 5 décembre 1793, sur les dix heures du matin, les révolutionnaires enfoncent les portes de la chapelle de la Sorbonne et ouvrent le tombeau de Richelieu pour en jeter le corps à la décharge. Claude LENOIR fondateur du musée des Monuments historiques assistait à la scène. Il la racontera ainsi bien des années plus tard : « Le cardinal que j’ai vu retirer de son cercueil, offrait aux regards l’ensemble d’une momie sèche et bien conservée. La dissolution n’avait pas altéré ses traits. Une couleur livide était répandue sur sa peau. Il avait les pommettes saillantes, les lèvres minces, le poil roux et les cheveux blanchis par l’âge. Un des suppôts du gouvernement de 1793, croyant venger, dans sa fureur, les victimes de ce cruel ministre, coupa la tête de Richelieu et la montra aux spectateurs qui se trouvaient alors dans l’église. » Lenoir s’oppose alors à la destruction du mausolée, une échauffourée s’ensuit au cours de laquelle il est blessé d’un coup de baÏonnette.

Après avoir scié la tête du cardinal, on jette le corps dans une fosse commune et les plus excités jouent au foot avec sa tête dans la rue Saint-Jacques qui de la Sorbonne descend vers la Seine.

La tête du Cardinal est finalement emportée par un dénommé Cheval, épicier rue de La Harpe. Après un long séjour dans un presbytère de Bretagne, on la retrouve dans un collège de Saint-Brieuc où elle est solennellement montrée aux élèves lors des Distributions des prix annuelles.

L’écrivain occultiste Fabre d’Olivet eut alors l’occasion d’examiner la tête de Richelieu et en fit la description suivante :
« Quant aux traits de sa figure, ils ont été notablement altéré par la mort, et depuis la mort par le séjour du cercueil. Les yeux se sont creusés et ont presque disparu sous l’orbite, bien que les paupières aient conservé tous leurs cils. Le cartilage du nez s’est affaissé… Les restes de barbe et de moustache ombragent encore les lèvres et le menton. Au reste, depuis son exposition à l’air libre, la face a pris une teinte noirâtre qui ajoute encore à l’étrangeté de son aspect et la fait ressembler à une antique momie arrachée des catacombes égyptiennes. Voilà ce qu’il reste de Richelieu ! »

Puis, cette fameuse tête est léguée à l’État, qui la ré- inhume solennellement en Sorbonne le 15 décembre 1866 :
À midi, le Ministre de l’instruction publique Victor Duruy accompagné d’une délégation de l’Académie Française sont accueillis par « sa Grandeur Mgr Maret, Doyen de la Faculté de Théologie qui leur présente l’eau bénite. » Suivi par un huissier portant un coffret contenant la tête du Cardinal, le ministre s’avance vers le choeur où l’attend l’Archevêque de Paris.
Il fait alors un discours qui commence ainsi :

« Je dépose en vos mains ce qui nous reste d’un grand homme dont le nom est toujours ici présent, parce qu’il pacifia et agrandit la France, honora les Lettres et construisit cette maison qui est devenue le sanctuaire des plus hautes études. L’Université et l’Académie accomplissent un devoir filial en réunissant leur hommage aux pieds de cette tombe qui ne sera plus violée.. »
Le procès-verbal de la cérémonie contient une superbe collection de perles dont j’ai extrait celle-ci pour votre plaisir : Le médecin légiste, un nommé de Quatrefages, écrit : « J’ai aussi étudié la tête de Richelieu. Je ne suis pas convaincu que le crâne fut dolichocéphale… Sur la statue (du tombeau) le crâne est brachycéphale… » C’était la grande époque des bosses de Gall… et les brachycéphales - disait-on à l’époque - « caractérisent plutôt le type des classes laborieuses »...

En 1895, Gabriel Hanotaux, le grand historien de Richelieu - ou du moins qui s’estimait tel - alors ministre des Affaires étrangères, ouvre à son tour le tombeau, s’empare du crâne pour l’examiner une dernière fois, au cours d’une cérémonie mondaine en présence - notamment, de la princesse de Monaco (1857-1925). Cette Alice Heine était la fille de Michel Heine, banquier richissime et Régent de la Banque de France... son parrain avait été Napoléon III. Elle avait épousé en première noce le dernier Duc de Richelieu, puis devenue veuve, elle épousa Albert 1er de Monaco. Elle assistait donc à cette cérémonie en tant que veuve du dernier duc de Richelieu. C’était une reine de la mode. La Presse fut subjuguée par sa « toilette d’exhumation suave, printanière, avec un chapeau fleuri de toutes les fleurs de la saison et des bracelets jusqu’aux coudes » :

Un ouvrier ouvre la cassette de fer de 1866, et mes amis, ouvrez grandes vos oreilles, car je cite le procès-verbal : « nous distinguons une face momifiée, une pauvre tête mutilée, à laquelle adhèrent encore des cheveux, et une moustache embarrassée de filaments de coton. » Surprise ! La fameuse double moustache n’a plus qu’un côté et Hanotaux, son historien en profite pour souligner : « l’exactitude de tous les détails de son récit sur la mort du Cardinal, car - pour administrer les derniers remèdes au mourant - la moustache fut coupée, d’un côté, d’un maladroit coup de ciseaux donné de travers sur la lèvre du mourant. » Fier de constater que ses études sur le Cardinal avaient dit vrai, le ministre fait photographier et dessiner à nouveau le célèbre chef, avant de le mettre dans un coffret scellé et de le faire recouvrir d’une chape de ciment armé, dans un lieu tenu secret à proximité du tombeau afin d’être le dernier à l’avoir vu pour les siècles des siècles.

Mais, ultime rebondissement ? le 4 décembre 1971, en présence de Jacques Duhamel, Ministre de la Culture, des Corps Constitués et d’une délégation de l’Académie, la tête de Richelieu est extraite de la « cachette » de Hanotaux et replacée à sa place originelle dans le cénotaphe de la chapelle.

En guise de conclusion, je passe la parole à un expert en la matière : le tsar de toutes les Russies, Pierre Le Grand en personne. Lors de l’unique séjour qu’il fit en France en 1718, il alla s’incliner à la Sorbonne sur la tombe du Cardinal. Il y prononcera ces paroles d’admiration dans le style pompeux de l’époque : « Grand ministre, que n’es-tu né de mon temps ! Je t’aurais donné la moitié de mon Empire, pour m’apprendre à gouverner l’autre. » C’est Saint-Simon, qui s’y connaissait en hommes, qui nous rapporte cette anecdote.

François-Marie Legœuil
Extrait de ma conférence faite à Nîmes le 9 avril 2019

Timbre de 1974 :

Timbre de 1970 :

Bibliographie :

 Clémentine Portier-Kaltenbach
« Histoire d’Os et autres illustres abattis ».

 Annales de Bretagne -1962-
A. Robillon : La tête de Richelieu en Bretagne

Les Tombeaux des Richelieu à la Sorbonne 1867
Vous pouvez télécharger gratuitement cette brochure en cliquant sur le lien :
https://www.furet.com/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/0/1/1/7/9782011741585.pdf

 hal.archives-ouvertes
Enterrer ou déterrer la tête de Richelieu : L’historiographie et le fantôme qui ne voulait pas mourir

 Auguste François
Exhumation des restes de Richelieu à la Sorbonne par Monsieur Hanotaux, ministre des affaires étrangères.