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Mais qui donc a laissé son cœur à Avignon ?

​Depuis Ulysse, les voyageurs avaient pris l’habitude de laisser leur cœur dans leur patrie : les voyages étaient longs, périlleux ; on partait… était-on sûr de revenir ?

Au XIIIe siècle, les princes suivirent l’exemple de Blanche de Castille, de répartir leur corps entre plusieurs sépultures pour satisfaire tous les demandeurs et notamment, ils prirent l’habitude de confier leur cœur à des églises ou des couvents.

L’Église marqua sa réticence, entendant réserver cet usage aux reliques des seuls saints comme c’était la coutume depuis les origines. Mais les princes sont puissants et n’en font qu’à leur tête…

Si bien que j’ai vu - en son temps, à Rennes, le cœur d’Anne de Bretagne, honteusement volé en 2019. Je suis aller voir celui qu’Henri IV avait légué aux Jésuites du Prytanée militaire de La Flèche et sur lequel veillent toujours les futurs saint-cyriens :roi henri
On m’a dit que celui de saint Charles de Foucault -fraîchement canonisé- avait été à l’époque, discrètement emmuré dans les murs de son ermitage saharien de l’Assekrem. Il me reste à aller le voir.

Eh bien, figurez-vous que l’autre jour, je visitais une fois encore le Palais du Roure à Avignon. Je passai le porche surmonté d’un magnifique Arbre de Vie (du moins, c’est le sens que j’y vois) :
Porche
Après un coup d’œil dans la cour, je montai quatre à quatre comme toujours, le monumental grand escalier et, négligeant pour une fois de rendre visite à la patache garée dans le vaste grenier et que Mistral et ses Félibres empruntaient pour aller à Châteauneuf-de-Gadagne, je m’arrêtai longuement devant la porte de la chambre de Louis Le Cardonnel, presque une cellule monacale. Ce poète, né sous le Second Empire, ami intime de Verlaine avec qui il fréquenta le cabaret du Chat Noir à Montmartre, abandonna la Bohème pour entrer dans les ordres à 34 ans chez les Franciscains où il prit le nom de Frère Anselme. Dès lors, sa poésie, très classique, frôlant parfois l’académisme, se fixa sur des sujets religieux et fut reconnue à l’époque par le public et même distinguée par de nombreux prix … De mon temps, en classe de seconde, chez les Spiritains de la Martinique, on mentionnait encore quelques-uns de ses vers en classe de littérature. Eh oui, dans les années cinquante, on apprenait encore "par cœur" ! Les ministre woke de l’éducation nationale n’avaient pas encore sévi... Grâce à cette éducation préhistorique, une strophe m’est revenue en mémoire :

Malgré les jours enfuis, je suis chanteur encore,
Et je vous redirai le chant des jours anciens ;
Je vous ramènerai vers la sauvage Aurore
Et la naïveté des temps d’où je reviens,
Hommes vieillis, qu’un ennui sans trêve dévore.

Ce n’est pas du Verlaine, mais Lamartine avait encore des émules... Jeanne de Flandreysy rachète le Palais en 1918, en fait un haut lieu des Arts et du mouvement Félibre. Elle y accueillait des artistes et donna l’hospitalité à Louis Le Cardonnel de 1929 à sa mort en 1936 :
aenveloppe

Redescendant par l’escalier à vis médiéval, sur l’un des paliers étroits et un peu « casse-gueule » -pardonnez-moi, Louis- je lis gravé sur une petite cloche, ramenée, paraît-il, de la Chartreuse de la Valbonne et que je n’avais jamais remarquée, ce vers de Louis Le Cardonnel :

« Claire, au nom argentin, Claire au doux nom d’aurore » :

cloche

Sortant dans la cour, je remarque une petite salle dont je ne me souvenais plus : la chapelle !

Et là, dans deux niches de part et d’autre de la porte d’entrée, des urnes, genre pots à pharmacie des Apothicaireries du XVIIe siècle… Celle de gauche contient le cœur de Folco de Baroncelli, dernier membre de cette famille arrivée avec les Papes, à vivre dans ce Palais, « inventeur » de la Camargue, protecteur des gitans, amis des Félibres, connu du grand public pour avoir invité pendant près d’une année des indiens chez lui en Camargue, après sa rencontre avec Buffalo Bill en 1905 à Nîmes lors de la tournée européenne de l’Américain. À cette occasion, il se noua d’amitié avec le chef Sioux "Jacob White Eyes" qui lui offrit ce costume de grand chef :
Porche
Baroncelli fut tellement ému par cette rencontre, qu’il fit tourner plusieurs westerns en Camargue…

Mais cessons de batifoler sur des chemins de traverse et revenons à notre poète ! À droite de la porte d’entrée de la chapelle, une niche jumelle de celle de Baroncelli, renferme l’urne du cœur de Louis le Cardonnel :
Porche
...dont l’épitaphe en latin proclame - du moins dans ma traduction modérément fiable :

« Dans cette urne repose le cœur visionnaire de Louis Le Cardonnel,
Éternellement brûlant d’ardeur poétique et de feu divin. »

Qui n’a pas visité le Palais du Roure, doit y courir toutes affaires cessantes, ne serait-ce que pour se recueillir devant le cœur du poète Louis Le Cardonnel. Et passant sous le porche à l’Arbre de Vie, vous vous souviendrez de ces quelques vers de Louis :

N’a-t-on pas muré ta porte,
Château des vieilles amours,
Perdu sous les flocons lourds ?

François-Marie Legœuil
le 1er novembre 2022

Pour les enthousiastes qui voudraient feuilleter la biographie de Louis Le Cardonnel, préfacée par Bernanos en 1938 : cliquez sur ce lien.