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Général André-Philippe Corsin,
l’aventure impériale d’un gamin provençal

Sur la mythique Nationale 7, peu avant Orange, vous traversez le village de Piolenc, capitale incontestée de l’ail provençal, auquel son premier rond-point rend hommage avec cette gousse monumentale :
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Même si vous n’achetez pas quelques gousses d’ail, Piolenc vous permettra de passer une très agréable après-midi. Vous commencerez par grimper en centre ville la volée de marches qui vous fera gravir la colline fortifiée de cet ancien prieuré cistercien, et si la chance vous favorise, vous pourrez également en visiter la petite église désormais paroissiale :
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Puis, vous descendrez bénéficier de l’ombre rafraichissante des antiques platanes du modeste Cours Corsin borné par une une petite fontaine dominée par un buste de bronze à la patine aveuglante :
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Vous reculez brusquement de deux siècles : après la tourmente révolutionnaire et impériale, le XIXe siècle apporte la paix en France et le début d’une certaine prospérité dans les provinces. Les villages sortent de leurs remparts et souvent - hélas !- leurs édiles abattent ces survivances des siècles obscurs...

Comme le rappelle Anatole France dans « L’Orme du Mail », le XIXe siècle, c’est aussi l’époque où des notabilités locales ayant « réussi » dans la vie, accèdent au statut de mécène en offrant à leurs concitoyens des "Cours" et des "Mails" ombragés de frais platanes, où les familles endimanchées viennent écouter, après les vêpres, la musique régimentaire ou l’Orphéon municipal sous le kiosque en fonte, symbole de la modernité des édiles municipaux. Ils offrent aussi des fontaines qui facilitent la vie des ménagères, car l’eau courante devra encore attendre un siècle :
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Les municipalités fières de ces parcours « républicains » et reconnaissantes de la générosité de ces mécènes, leur élevèrent partout des statues devant lesquelles on passe sans les regarder ni les reconnaître. Ces mêmes statues que l’on traque et abat aujourd’hui pour ré-écrire et épurer l’Histoire selon les canons du jour.

Ici, le mécène est un enfant de la Révolution et de l’Empire : le Général Vicomte Corsin. Un destin flamboyant comme beaucoup de ces enfant du petit peuple en ont connu pendant les vingt années qui ont suivi 1789, traversant les régimes, accumulant titres, grades, pensions, décorations et revenant à la retraite « cultiver leur jardin » dans leur village natal qu’ils embellissent par leurs généreuses donations. Après son buste, voici un portrait d’époque :

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Notre André-Philippe Corsin s’engage au Royal Perche-Infanterie comme simple soldat à 17 ans en mars 1789 sous Louis XVI qui est pour peu de temps encore Roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu :
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Caporal en 1791 sous l’Assemblée Législative, capitaine en 1796 sous le Directoire, il fait toutes les campagnes de la Révolution sur le Rhin, puis en Italie avec Bonaparte, et toutes les campagnes de l’Empire où il gagne après Eylau la Légion d’Honneur, le grade de colonel, puis de général et le titre de Baron d’Empire avec rente de 4.000 fr. Fait prisonnier lors de la retraite de Russie, il regagne Paris après le retour de Louis XVIII qui le fait Chevalier de Saint-Louis et le nomme gouverneur d’Antibes. Au service du Roi, il y fait emprisonner les émissaires venant de l’Ile d’Elbe d’où Napoléon prépare son retour. Il reprend néanmoins du service pour le compte de l’Empereur pendant les Cent-Jours, il est blessé à la seconde bataille de Fleurus contre Blucher l’avant-veille de Waterloo, et Louis XVIII le reprend à son service en le nommant Grand-Croix de la Légion d’honneur et gouverneur militaire du Vaucluse et des Bouches-de-Rhône, puis Vicomte. Il reprend du service actif pour Louis XVIII lors de l’expédition d’Espagne qui aboutira à la prise du Trocadéro. Sous Louis-Philippe, il prend sa retraite, se retire à Piolenc, à qui il offre une école communale, l’adduction d’eau, la fontaine des « quatre Bourneux », quelques fontaines publiques, un mail ombragé, un «  champ du repos », un hospice… Cet aventurier meurt dans son lit sous le Second Empire en 1854 à 81 ans. La municipalité l’honorera en érigeant son buste sur le mail en 1911. Cette statue sera détruite en 1942 par les Allemands pour en récupérer le métal. Ce sera le sort de très nombreuses statues et cloches en France à cette époque.
«  En 2013, Louis Driey, maire, décide de rénover le cours Corsin et commande à Christophe Polizzano (sculpteur à Noves) le monument qui redonne ses lettres de noblesses au Vicomte de Corsin. »

Le socle de sa statue résume de façon très lapidaire cette destinée flamboyante :
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tandis que son buste montre ses décorations majeures... Je ne peux reconnaitre que la Légion d’Honneur et l’Ordre de Saint Louis :

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Et pour terminer en beauté cette vie aventureuse voici son blason, qui porte dans son quartier senestre, le cor comme arme parlante, entourant sa « bonne étoile ». Le décret du 19 mars 1808 et les lettres patentes du 12 novembre 1809 (Fontainebleau) le décrivent ainsi : « Coupé le premier parti d’or à l’étoile d’azur, entouré d’un cor de chasse (grêlier) du même et de gueules au signe des barons tirés de l’armée ; le deuxième d’azur au trophée de six drapeaux d’argent, surmonté d’un casque en fasce du même » :

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François-Marie Legœuil, octobre 2022