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Les Morts vont vite :

Ce n’est pas Alexandre Dumas qui aurait dû entrer au Panthéon
mais Chateaubriand !

En 2005 je visitai le beau petit « Musée de la vie romantique » à Paris, ancien atelier du peintre Ary Scheffer :
Musée
et y admirai son tableau si romantique «  Léonore, Les Morts vont vite  » tiré d’un conte de Gottfried August Bürger (1773) : la belle Léonore attend son fiancé, un chevalier parti pour la guerre de Sept Ans. Une nuit de pleine lune, il revient, revêtu de sa cuirasse, et l’enlève en chemise de nuit sur son destrier au galop… sous la lumière blafarde de l’astre de la nuit (oui ! N’hésitons pas !) Ils arrivent au cimetière... laissons parler la ballade traduite par Gérard de Nerval (voir Note 1) :
« L’élan du cheval l’emporte parmi des tombes qui, à l’éclat de la lune, apparaissent de tous côtés. Ah ! voyez !… au même instant s’opère un effrayant prodige : hou ! hou ! le manteau du cavalier tombe pièce à pièce comme de l’amadou brûlé ; sa tête n’est plus qu’une tête de mort décharnée, et son corps devient un squelette qui tient une faux et un sablier. »

Romantisme, quand tu nous tiens !

Tableau
Alors imaginez ma surprise de trouver la semaine passée sur un site universitaire canadien spécialisé dans le téléchargement gratuit de livres classiques, un ouvrage d’Alexandre Dumas que je ne connaissais pas intitulé « Les Morts vont vite » publié en 1861 (Voir Note 2) :
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Je téléchargeai ce livre derechef (comme on dit dans la gendarmerie), et me mis à le lire sur le champ (comme on dit dans la cavalerie)… Le premier chapitre consacré à Chateaubriand développe un parallèle entre les vies de Napoléon et de Chateaubriand, le procédé est un peu forcé mais l’ensemble tout à fait captivant, et sa conclusion débouche - comme on le verra plus loin - dans mon esprit peut-être trop politisé, sur le président Chirac…

Mais commençons par écouter Dumas parler de la mort de Chateaubriand :

«  Les funérailles de M. de Chateaubriand eurent lieu le samedi 8 juillet (1848), dans l’église des Missions étrangères ; puis le corps, après avoir reposé quelques jours dans un caveau provisoire, fut transporté dans le tombeau que M. de Chateaubriand s’était choisi lui-même.
Ce tombeau est une île de granit, située en avant de la ville de Saint-Malo ; la mer l’enveloppe entièrement, même au jour et à l’heure des plus basses marées :
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C’est sur cette île que la mère du poëte fut prise des douleurs de l’enfantement. Celui qui croyait à l’éternité a voulu symboliser l’éternité, sans doute, par ce retour de la mort au point de départ de la vie. Longtemps à l’avance, M. de Chateaubriand s’était préoccupé de son tombeau, comme Napoléon du sien. Sur la pierre de l’un, on dut écrire simplement : ci-gît Napoléon Bonaparte ; sur la pierre de l’autre, on a écrit plus simplement encore : ci-gît un chrétien… »

« …ce retour de la mort au point de départ de la vie… »  : que veut nous dire Alexandre Dumas ? tout simplement souligner que la tombe du Grand-Bé à Saint-Malo face à l’Océan en tempête fait lien avec les éléments déchaînés qui saluèrent la venue au monde de François René de Chateaubriand à Saint-Malo. Écoutons François René pour qui ce lien entre naissance et mort allait de soi :

« La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils … J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées. »

Pour François René, les éléments déchaînés saluèrent sa naissance, comme c’est le cas pour tous les grands destins : la naissance du Christ salué par l’étoile des Rois mages, la mort de César marqué par la comète…

François-René choisit le rocher du Grand-Bé à Saint-Malo pour abriter son tombeau :
« Saint-Malo n’est qu’un rocher…ne tient à la terre ferme que par une chaussée appelée poétiquement le Sillon. Le Sillon est assailli d’un côté par la pleine mer, de l’autre est lavé par le flux… j’avais bien choisi sans le savoir : bé, en breton, signifie tombe. Au bout du Sillon, planté d’un calvaire, on trouve une butte de sable… elle est surmontée d’un vieux gibet : les piliers nous servaient à jouer aux quatre coins… Ce n’était pourtant pas sans une sorte de terreur que nous nous arrêtions dans ce lieu. »

Je vous avais promis le président Chirac : où est-il ? Patience, il arrive !

Depuis 1958, le président de la République est « le maître des horloges » comme le répètent à l’envi les journaleux qui veulent faire cultivé. C’est-à-dire - excusez du peu - le maître de la vie et par conséquent de la mort. C’est pourquoi nos présidents sont les seuls à pouvoir faire entrer au « Panthéon des grands hommes de la Patrie  » les Hommes qu’ils en jugent dignes (et les femmes comme on doit dire aujourd’hui sous peine de poursuites)

Le Grand Charles, comme à son accoutumée, resta sobre en la matière : il y plaça seulement Jean Moulin dont je me souviens avec émotion de l’éloge qu’en fit Malraux avec son si fameux trémolo : « Entre ici, Jean Moulin.  » Ses deux successeurs, Pompidou et Giscard d’Estaing n’en désignèrent aucun : ils ne se prenaient manifestement pas pour des Maîtres des horloges ! succédant au grand Charles, ils conservaient un peu de modestie, même Giscard !

Comme d’habitude, avec les socialistes l’inflation revint en France dans les comptes publics, sans s’arrêter aux portes du Panthéon : c’est ainsi que Mitterand détient encore à ce jour le pompon avec sept entrées ! René Cassin, Jean Monnet, l’Abbé Grégoire, Gaspard Monge, Nicolas de Condorcet et le couple Curie… mais il est vrai que cet exploit s’étala sur 14 ans. Avec Chirac, on revint à droite et à la sobriété : seulement André Malraux et notre Alexandre Dumas. Avant de parler d’Alexandre, terminons-en d’abord avec les Maîtres des Horloges : Nicolas Sarkozi resta aussi sobre que De Gaulle avec une seule entrée : Aimé Césaire. Le retour des socialistes emballe l’inflation. Quatre entrées de Panthéon en une seule fournée pour F. Hollande : Gèneviève De Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillon, Jean Zay et Pierre Brossolette avec en prime pour notre François la Blagounette la gloire de respecter sa chère parité homme/femme. Quant à notre très aimé président actuel qui gagne toutes les courses et boxe tous les records, il a déjà rattrapé son prédécesseur avec Simone Veil, Maurice Genevois, Joséphine Baker et Missac et Mélinée Manouchian… et bientôt nous promet-il, il va le dépasser en Panthéonisant Robert Badinter… plus on bat sa coulpe en regardant son Histoire de France, plus on panthéonise… sans doute pour respecter le si fameux « En même temps. »

Mais revenons à notre Alexandre Dumas.
Si le président Chirac lui avait cédé un temps de parole avant de lui faire passer la porte de la crypte du Panthéon sans lui demander son avis, Alexandre n’aurait pas manqué de dire à Jacques qu’il faisait une erreur en l’envoyant rejoindre Victor Hugo, Voltaire et Rousseau !

Car ce n’est pas Alexandre Dumas, qui devait entrer au Panthéon, c’est Chateaubriand ! Et c’est A. Dumas en personne qui l’a dit, et qui l’a même écrit, toujours dans « Les Morts vont vite » :

« Mais, un jour, la France ira prendre le corps de M. de Chateaubriand pour le placer au Panthéon, comme elle a été prendre celui de Napoléon pour le mettre aux Invalides. Ce sera la dernière ressemblance entre le poëte et l’empereur. »

D’autant plus, qu’entrer au Panthéon aurait épargné à François René d’avoir sa tombe du Grand-Bé confondue avec les pissotières de Saint-Germain-des-Prés par un philosophe existentialiste pas complètement sorti du stade anal. Écoutons Simone de Beauvoir in La Force de l’Âge (NRF, 1960, page 114) :

« Le tombeau de Chateaubriand nous sembla si ridiculement pompeux dans sa fausse simplicité, que pour marquer son mépris, Sartre pissa dessus. »

François Mauriac dans « Les Nouveaux Cahiers François Mauriac, N° 18  » commente ce minable acte de vandalisme (Note 3) : « …Il rappelle ainsi l’anecdote racontée par Simone de Beauvoir d’un Sartre profanant la tombe de Chateaubriand en urinant dessus. « Cette miction sartrienne écrit Mauriac, est aussi importante pour moi, dans l’histoire littéraire, que pour Goethe, le canon de Valmy : c’est une ère nouvelle qui commence, celle du crachat ou du pipi sur les tombes illustres. Et nous, nous bercions dans leur tombeau, ces morts bien-aimés… »

Par cette exhibition de cour de récréation, Sartre qui se disait être à l’avant-garde du Maoïsme (aujourd’hui disparu dans les décharges de l’Histoire) peut-être logiquement considéré comme un ancêtre de ce wokisme qui, lui aussi, disparaîtra sans nul doute dans les décharges de l’Histoire.

Et comme il allait en prendre l’habitude, le journal Le Monde - toujours à la remorque du "Progrès" - relativisa ce geste (Note 4) :
« Mauriac se trompait. On peut penser, au contraire, que pisser sur le tombeau de Chateaubriand était encore, de la part de Sartre, un hommage, sans doute un peu appuyé, à un écrivain envié ; une façon de marquer sa propre ambition territoriale face à son intellectuelle et aristocratique compagne. »

Le journal Le Monde avait raison :
Tout comme Sartre, les chiens eux aussi pissent pour marquer leur territoire.



François-Marie Legœuil, le 2 avril 2024



Un peu de documentation ?

Note 1 : Traduction en vers de la Ballade de Léonore par Gérard de Nerval

Note 1bis : Traduction en prose de la Ballade de Léonore par Gérard de Nerval

Note 2 : Pour lire Les Morts vont vite : Cliquez ici

Note 3 : Pour lire l’article de La Gazette Littéraire : Cliquez ici

Note 4 : Pour lire l’article du Monde : Cliquez ici