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Du Bonheur d’être Réac

Du Bonheur d’être Réac
Apologie de la liberté

Par Denis Tillinac
Chez : Équateur, 108 pages, 12€
Entre essai et pamphlet, voilà un petit livre délicieux que vous devez lire absolument. Denis Tillinac n’est pas un donneur de leçons : si vous êtes réac, vous passerez un moment de pétillant plaisir et si, hélas ! vous ne l’êtes pas, vous éprouverez le même bonheur avec en prime, la découverte de la douceur exquise qu’il y a à vivre avec légèreté son bref passage sur cette terre, loin du joug pesant du Sens de l’Histoire tout en cultivant son jardin sans se préoccuper des dictats de l’époque véhiculés par les médias et les « associations ». Un instant de plaisir avec un livre, cela compte à notre époque et à notre âge ! Pardon, du moins au mien…

Le premier paragraphe vous donnera le ton : « Réac… le mot n’a pas bonne mine. Il présume au mieux une ganache rétro, une chaisière mal baisée, un rentier confit dans l’aigreur ; au pire, un beauf obtus, suintant la haine du romano, du clodo, de l’intello, du prolo, de l’homo, de l’écolo. Du réac au « facho » la frontière sémantique est incertaine, et aucune douane ne la contrôle… » Et le milieu médiatique est encore plus hostile au réac sur lequel il concentre toutes les haines de la société d’aujourd’hui : « Une journaliste des Inrockuptibles… a écrit que « je suintais le Français de souche ». Dans le texte... Ce qu’elle sous-entendait, avec une forte dose de mépris, on le comprend aisément : le Bidochon franchouillard qui veut casser de l’Arabe pour attester sa souveraineté sur son lopin… on imagine le concert d’indignations si un « plumitif » avait écrit qu’un noir « suinte » l’Africain de souche… » Un autre exemple de ce climat – un très bon exemple – le procès où Tillinac fut invité pour « témoigner en gros qu’Éric Zemmour, journaliste au Figaro, gaulliste tendance République laïque, très laïque, n’était pas un disciple de Gobineau ou de Goebbels. On l’accusait de « racisme », moins de rien. On ? des « associations ». Les guillemets s’imposent. Il va sans dire que Zemmour n’est pas raciste le moins du monde et nul ne l’ignorait dans le sérail. L’imposture, c’est de l’avoir fait comparaître - et condamner – par soumission à un pharisaïsme dont des juges assermentés auront été les complices ou les dupes. » On devrait plutôt stigmatiser ces récents textes de loi qui, en donnant des définitions par trop imprécises de ce type de délit, ouvrent la voie à tous les débordements d’interprétation.

Mais rassurez-vous ! Si vous faites état de votre éventuelle appartenance réac, vos amis ne vous rejetteront pas obligatoirement, car : « … ils me prennent pour « un bon réac », comme il y avait avant-guerre « un bon juif » dans le cœur de tout antisémite. »

Devant ces inconvénients, pourquoi se dire de réac plutôt que de droite ? Par intégrité, parce que la droite va toujours chercher son certificat de respectabilité « républicaine » chez la gauche. Et que du reste, le réac n’est pas spécifiquement de droite : « s’il vote plutôt à droite, c’est faute de mieux et par défaut… car [la droite] va à la « modernité » [incarnée bien entendu par la gauche] comme le veau à l’abattoir, en maugréant. » Comme exemple de réac de gauche, il cite Régis Debray déclenchant l’ire de ce dernier. Le vrai réac cultivant la complexité et l’ambiguïté comme devrait le faire tout honnête homme au sens classique du terme, ne peut se contenter du système binaire gauche/droite. Il est « ailleurs ». Et la définition particulièrement fouillée et réjouissante de cet ailleurs, constitue l’essentiel du livre. Par exemple, le chapitre Des fondamentaux du réac contient beaucoup de ces gros mots qui font frémir d’horreur les « experts » binaires des débats télévisés : le sens de l’honneur… de l’intériorité… de l’héritage… de l’humour… de la désinvolture… de l’élévation… de l’harmonie… de la religiosité… de la distinction… de la lenteur… de l’ambiguïté… du regret… des hiérarchies… de l’éternité… du tragique… de la pudeur… 

Au gré des pages, vous bénéficierez aussi de quelques conseils : prenez garde avant d’affirmer, en bon réac, dans un dîner en ville que vous ne croyez pas « aux bienfaits d’une culture pour tous censée abolir dans les bourbiers du dialogue le privilège du penseur, de l’artiste, de l’érudit au profit de masses miraculeusement ouvertes à la créativité. » Aurez-vous le courage d’avouer sur le dessert : « Avignon : très peu pour lui ; [le réac] n’aime pas les foules et prend pour ce qu’elles sont – rien - les créations à la Jan Fabre qui épatent le bobo, « le dérangent » quand les comédiens l’aspergent d’urine. Ce qui le dérangerait plutôt – s’il ne les fuyaient, ce serait cette prolifération de manifestations « culturelles » dans la moindre bourgade. Il y voit la manifestation d’un gardiennage qui prend le relais de la crèche et ne désarme pas dans les HEPAD. « Animation » pour tous à tous les âges. »

J’ai cité ces quelques exemples pour vous montrer la difficulté qu’il y a à s’affirmer réac car l’on entre immédiatement en conflit avec « la modernité » et son consensus : « Réac ou moderne, là est le vrai partage des eaux. »
Être libre se mérite, se conquiert grâce à la culture qui est diversité : mais sans rapport avec la « diversité » du discours actuel. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Tillinac : « Dans mon Panthéon réac, voisinent auprès des saints et des héros coloriés sur les vitraux de nos cathédrales, des inclassables tels que Casanova, Lampedusa, Clostermann, Sempé, les frères Boniface… »

Être réac, c’est aimer la légèreté, la complexité et l’ambiguïté contrairement à une Gauche « morale » exclusive et binaire qui a besoin d’ennemis pour exister. Depuis les années cinquante, la Gauche relègue ses opposants dans les géhennes de l’Histoire et dans les enfers de la Société en les qualifiant de « facho » ; dans les années quatre-vingt-dix, ses contradicteurs sont en plus devenus « racistes » et depuis la « Manif pour Tous », « homophobes » comme le soulignait à la télévision Manuel Valls le soir d’une de ces manifestations familiales dont je revenais et qu’il comparait au « 6 février 34 », rien de moins&nbps; !

Mais n’ayez crainte ! Là, n’est pas le propos de Denis Tillinac : son livre n’est pas une charge, mais un hymne au bonheur d’être libre. Vous voulez éprouver le bonheur de vivre en France ? Suivez Tillinac : « Réac je suis, car héritier comblé d’une civilisation (Athènes, Jérusalem, Rome) dont l’agonie programmée par des apprentis sorciers, subie par des peuples aux abois, me désole et me dépossède. Sa survie est improbable, son renouveau impensable et de ce désastre, je suis « le Ténébreux, - le Veuf, - l’Inconsolé » du poème de Nerval ».

Certaines des qualités qu’il donne au réac me sont allées droit au cœur : « Le réac jouit d’un instinct qui l’incite à prendre spontanément ses distances avec la société moderne… » J’ai toujours pensé que c’était une nécessité fondamentale : tout siècle est à la fois enthousiasmant et désastreux ; le nôtre n’échappe pas à la règle. Aujourd’hui comme hier, mais ni plus ni moins, on se doit au devoir d’inventaire avant de jeter l’opprobre sur les fautes des siècles passés et d’en demander pardon. Autre coup de cœur : « Le réac ne croit pas ... à la créativité de tout individu chère à l’anti pédagogisme… il ne croit pas que tout se vaut, cet article du credo moderne, selon lequel il est illégitime de hiérarchiser l’émotion esthétique. Entre Mozart et le rap, entre Vermeer et le tag, il discerne un fossé qualitatif… »

Intéressante, est sa réaction sur la GPA et la PMA : Tillinac ne veut pas entrer dans les questions de filiation, du respect des enfants, etc. même s’il les approuve, il insiste plutôt sur l’importance et la nécessité de « l’érotisation du monde… l’altérité des genres qui fonde la conscience, construit l’imaginaire, embrase le désir… »

Enfin, pour le plaisir, une dernière citation : Le réac « aurait-il donc un faible pour ses racines ? Son terrier ? Son clocher ? Son pays ? Sa culture ? Son identité pour tout dire ? Aura-t-il le front de revendiquer sa souche picarde, gasconne, franc-comtoise ? Pire : française, européenne, occidentale ? Pire, chrétienne ? Le réac plaide coupable… »

La dernière phrase du livre : «  Réac je suis, car je ne puis concevoir le bonheur sans la liberté, fût-ce au prix de la mise au rebut. Le branché, le bobo, le gaucho, le progressiste se protègent dans le giron d’un conformisme. Grand bien leur fasse ! Le réac préfère le bonheur à ses risques et périls. » Avec toutefois une hésitation bien normale : … « Peut-être n’existe-il pas de « réac » à l’état pur, car le plus insoumis, le plus déniaisé, le plus décontracté a gardé des restes de conformisme. »

Amis, achetez ce petit livre, empruntez-le ou volez-le, mais lisez-le !