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La Fontaine ou le lent et élégant vagabondage
d’un éternel jeune homme

Tallemant des Réaux dans ses Historiettes nous décrit ainsi La Fontaine : Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine, est … un grand rêveur… » Et son ami d’enfance Maucroix, dans son Épître à La Fontaine ajoute :

« La Fontaine est un bon garçon…
Belle paresse est tout son vice. »

Pour découvrir ce rêveur paresseux, comme nous sommes en voyage, je vous propose de suivre sa vie en prenant la route, mais pas l’autoroute d’une biographie, plutôt un chemin des écoliers, tout en faisant nôtre le conseil qu’il donne dans sa fable L’Ane et le Petit Chien  :

« Ne forçons point notre talent,
Nous ne ferions rien avec grâce. »

Et surtout, n’oubliez pas d’effectuer ce parcours avec cet esprit d’enfance qui était le sien :

« Et moi-même…
Si Peau d’âne m’était contée,
J’y prendrais un plaisir extrême ».

Notre première étape sur ce sentier paresseux, nous est donnée par Diderot dans sa Vie abrégée de La Fontaine : Longtemps après sa mort, les étrangers allaient visiter la chambre qu’il avait occupé. Une fois chaque année, j’irai visiter sa tombe ». Commençons par la maison de La Fontaine à Château-Thierry : elle existe toujours. C’est là qu’il vit le jour en 1621 dans une riche famille de la bourgeoisie dont le père était Maître des Eaux et Forêts du duché de Château-Thierry. C’est une belle demeure, de style Renaissance dont malheureusement ne subsistent que quelques éléments extérieurs de sa décoration d’origine : Le double perron et sa rampe ancienne, une frise d’oves et de fleurs de lys, des petits chapiteaux et des corniches. Une curiosité à signaler : sur les piliers d’encadrement, on voit le motif de trois croissants entrelacés que l’on retrouve dans les châteaux d’Anet et de Fontainebleau habités par Diane de Poitiers. Avec la date 1559 gravée à côté, quelques biographes se sont permis d’y voir la patte de Philibert de l’Orme qui, en effet, édifia plusieurs maisons et châteaux dans la région. Les trois-quarts du cabinet de travail de La Fontaine ont disparu avec la tourelle et l’escalier à vis qui y menait. La porte belle cochère n’est plus. Mais rassurez-vous, on pourra vous en montrer la clef. Pendant la guerre de 1870, sa transformation en hôpital puis en caserne d’Uhlans a achevé d’en dégrader les décors intérieurs. Vendue par La Fontaine dès 1676, c’est aujourd’hui un musée dédié au poète. Si le cœur vous en dit, cela reste une bien belle maison à visiter… Accompagnerez-vous Diderot sur la tombe de La Fontaine enterré le 14 avril 1695 au cimetière des Saints-Innocents ? L’Abbé d’Olivet, son biographe au XVIIIe siècle, dans son Histoire de l’Académie se trompa et mentionna un autre cimetière ; les commissaires de la Convention suivront ses indications erronées pour exhumer dans ce cimetière en 1792 des ossements anonymes afin d’élever un mausolée à la gloire du fabuliste. En réalité les ossements du poète ont dû connaître le sort commun des Saints-Innocents : le transfert aux catacombes à la veille de la Révolution. Quoi qu’il en soit, vous pourrez toujours aller voir un mausolée qui porte son nom au Père Lachaise. Pendant son enfance dans cette maison de Château-Thierry, il fut élève au collège de la ville « sous des maîtres de campagne » au moins jusqu’à douze ans ; maîtres qui ne lui enseignèrent que le latin dit l’Abbé d’Olivet son biographe déjà cité, c’est-à-dire qu’il ne connaissait pas le grec et était obligé de lire Homère avec son père dans une traduction latine… On connaît pire, comme études ! Il partit à seize ans pour la capitale faire son droit et porta le titre « d’avocat en la cour de Parlement ». Les études duraient trois ans pour la licence et M. Buisine, l’unique professeur de droit canon délivrait les diplômes, dit-on, pour vingt écus. Il fréquente alors une joyeuse bande d’amis buveurs et rimailleurs : Furetière le futur auteur du dictionnaire qui entra à l’Académie vingt ans avant lui, Maucroix son ami de toujours et les frères Tallemant des Réaux. Ils se retrouvaient au cabaret La Table Ronde où ils avaient fondé une sorte d’Académie au sein de laquelle La Fontaine parfait son éducation en lisant tous les classiques anciens et les modernes aussi ; Malherbes lui donnera le goût du beau vers et de la forme parfaite et la fréquentation par la suite de nouveaux amis comme Molière, Boileau ou son jeune cousin Racine, achèvera sa formation. La vie est alors facile, car La Fontaine, ne l’oublions pas, est un riche fils de famille. À son mariage en 1647, le ménage disposera de 52.000 Livres de rentes. On ne connaît que le La Fontaine popularisé par le tableau de Rigaud, un vieillard de soixante-trois ans, charmant et , distrait et piéton de jardin. À cette époque, c’est un « étudiant fringant et galant qui s’habille chaque jour encavalier pour fréquenter la société élégante et courtoise, cultivé et de bel esprit qui se promène aux Tuileries, ce pays du beau monde et des galanteries ».

Et pourtant, qui l’eut cru ? Cet étudiant peu travailleur et amateur de belles filles va entrer en religion, nous proposant ainsi notre deuxième étape sur le chemin des écoliers de la vie de La Fontaine.
Il ne choisit pas le plus facile en entrant en avril 1641 dans la maison mère de l’Oratoire à Paris, réputée pour sa rigueur. Il a alors vingt ans. Son engagement est suffisamment éloquent pour que son frère Claude l’y rejoigne. Après dix-huit mois, La Fontaine quittera l’Oratoire en plein accord avec ses maîtres. Il restera peu prolixe sur ce passage clérical, dont il dira qu’il y lut surtout L’Astrée – alors très à la mode - plutôt que la théologie. Pourtant il se souviendra toute sa vie de cet entracte inspiré. Par exemple, en 1665, dans une traduction de la Cité de Dieu de Saint Augustin, il en versifie en français les citations poétiques. En 1671 encore, il récidive en composant avec le Comte de Brienne à la demande de Port-Royal le Recueil de Poésies Chrétiennes et Diverses, de forte inspiration janséniste. Malgré sa vie agitée et mondaine, il mourra en bon chrétien, comme l’on mourrait au siècle classique, de façon consciente et théâtrale. Avant de recevoir l’extrême-onction, il fit venir quelques membres de l’Académie Française qui s’installèrent dans des fauteuils, comme au spectacle, pour écouter La Fontaine renier ses merveilleux Contes et Nouvelles et tout particulièrement les éditions plus vertes d’Amsterdam, pour l’écouter renoncer à la vie mondaine, promettre de passer le reste de sa vie dans la prière et la piété et ne plus rien écrire d’autre que des livres de religion. C’était un faux départ ! Il se remit, vécut encore dix-huit mois et tint parole en traduisant notamment en vers français le Dies Irae. En procédant à sa toilette mortuaire, on trouva sur lui un large cilice de crin de chèvre. C’était en 1695, il avait soixante-quatorze ans. On peut préférer à ce théâtre la manière élégante qu’il avait de parler de la mort quand il était en bonne santé, comme dans sa fable Le Curé et le Mort :

« Un mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte ;
Un curé s’en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite. »

Le reniement, à la veille de sa mort, des Contes qui l’avaient pourtant placé au faîte de la mode, nous ouvre la troisième étape de notre chemin des écoliers : la lente montée de La Fontaine vers le succès. En bon paresseux, il mena, malgré son mariage en 1647 et malgré la naissance de son fils Charles en 1653, une vie d’éternel étudiant oisif. Ce n’est qu’à trente-trois ans qu’il publia son premier texte d’importance : L’Eunuque, sans grand succès. Il mettra encore deux ans pour publier en 1658 L’Adonis ainsi que des Ballades qui lui vaudront ses entrées au château de Vaux du fastueux Fouquet qui le pensionnera moyennant l’obligation pour La Fontaine d’honorer chaque terme de la pension d’un bout rimé. Il faut rappeler que Fouquet avait inauguré la fureur du bout rimé en écrivant sur la mort du célèbre perroquet de Mme de Plessis-Bellière. Il était temps, il lui fallait des mécènes : dilapidant son important patrimoine et accumulant des dettes, il venait d’être obligé de vendre sa métairie. Mais incorrigible et insouciant, menant la belle vie à Vaux-le-Vicomte, en bon courtisan il continue à ne rimailler que des pièces de circonstance qui lui construisent toutefois une réputation d’homme de lettres. Paradoxalement, c’est la chute de Fouquet en 1661 qui va être sa chance en l’obligeant à travailler sérieusement à bâtir une œuvre. Il a déjà 43 ans, quand poussé par la duchesse de Bouillon, sa protectrice d’alors – et qui n’était autre que l’ex Marie Mancini nièce de Mazarin et rappelez-vous premier amour de Louis XIV - il publie ses premiers Contes et Nouvelles en vers. C’est la gloire ! Nous sommes en 1664. Il en publiera les cinq tomes pendant vingt ans, avec de nombreuses éditions à Amsterdam, non censurées et beaucoup plus lestes. Et il a 47 ans quand il publie ses premières fables dont il ne terminera la deux cent quarante troisième qu’à la veille de sa mort. Et là encore, le succès est total. Il est désormais à la mode, il fréquente les salons, celui de la duchesse de Bouillon, celui de l’hôtel de Nevers et celui de Mme de La Sablière qui le pousse à solliciter l’Académie.

Ce chemin qui va le mener à l’Académie, vous allez le reconnaîtrez tout de suite, c’est :

« …un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés exposé au soleil… »

Entrer à l’Académie lui fut laborieux : il dut s’y reprendre à trois fois. Sa vie, ses Contes plaidaient contre lui. Son ami Benserade fit en sa faveur une campagne de pamphlets :

« Soyez dévot, fréquentez bien l’Église
Ecrivez mal mais sur des sujets pieux,
Faites des vers que jamais on ne lise,
Vous entrerez, Rose a dit : je le veux !...
Sonnets, rondeaux, fables, contes plaisants
Sont peu de poids pour cette compagnie.
Mieux sont reçus les dévots postulants
Portant brevets de bonne et sainte vie…
Bientôt faudra des lettres de prêtrise,
Être profès dans l’Ordre des Chartreux
Avec cela qu’un moine vous produise
Vous entrerez, Rose a dit : je le veux ! »

Il finit par être élu en 1683 à 62 ans au fauteuil de Colbert, après avoir promis de ne plus écrire de Contes… dont il écrivit immédiatement un tome nouveau en se disculpant, en préface, de la façon suivante :

« Ô combien l’homme est inconstant, divers,
Faible, léger, tenant mal sa parole !
J’avais juré hautement en mes vers
De renoncer à tout conte frivole… »

Parallèlement à cette lente montée vers la gloire qui le mène jusqu’à l’Académie, La Fontaine va connaître la lente descente vers la misère : ce sera la quatrième étape de notre chemin des écoliers.
Bien que riche lors de son mariage, tout se gâta très vite : Imprévoyant et dépensier, à peine cinq ans après son mariage, il finit en 1652, contraint et forcé par les dettes, par accepter la charge de Maître Triennal des Eaux et Forêts du duché de Château-Thierry, dont nous dit Perrault, « il avait si peu de goût … qu’il n’en fit les fonctions pendant plus de vingt ans que par pure complaisance ». Il vendra cette charge en 1672. Désormais il vivra uniquement à Paris : il a plus de cinquante ans et s’installe pour vingt ans, rue Neuve-des-Petits-Champs chez son amie et nouvelle protectrice Madame de La Sablière avec gîte, couvert et salon. Ce sont ses plus belles années, c’est le temps de ses plus beaux succès littéraires et mondains. Cependant, les déboires financiers de sa protectrice finiront par le reléguer dans un grenier vide et sans chauffage ce qui ne l’empêchera pas de continuer à courir les salons. À la mort de sa bienfaitrice, il se réfugie chez son ami le banquier d’Hérart où il mourra peu après. Rédigeant son épitaphe, il résume la façon dont il a mené sa vie, construisant comme l’on dirait aujourd’hui, son image pour l’éternité :

« Jean s’en alla comme il était venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien le sut dépenser :
Deux parts en fit, dont il voulait passer
L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. »

Je vous propose maintenant de quitter la route principale de la vie de La Fontaine pour suivre ce petit sentier qui en est parallèle, élégant et précieux, très XVIIe siècle : celui des femmes de La Fontaine.
Commençons par sa femme. Son ami Tallemant, l’échotier du Grand Siècle raconte : « … son père l’a marié, et lui l’a fait par complaisance. » C’était en 1647, il avait vingt-six ans, et épousait une riche et jeune cousine de Racine qui en avait quatorze et demi. En 1665, vingt ans après son mariage, il prête à son héros dans Joconde au début de son premier tome des Contes, le jugement suivant qui peut s’appliquer à son propre cas :

« Marié depuis peu : content, je n’en sais rien.
Sa femme avait de la jeunesse,
De la beauté, de la délicatesse ;
Il ne tenait qu’à lui qu’il ne s’en trouva bien…
…Quoi ! tu me quittes ! disait-elle.
As-tu bien l’âme assez cruelle,
Pour préférer à ma constante amour,
Les faveurs de la Cour ? »

Et ce fut bien là le problème : il était sans cesse par monts et par vaux et plus souvent à Paris que chez lui et quand il était là, il était volage. Son ami Tallemant des Réaux commente : « Sa femme dit qu’il rêve tellement qu’il est parfois trois semaines sans croire estre marié. C’est une coquette qui s’est assez mal gouverné depuis quelque temps : il ne s’en tourmente point. On lui dit : mais un tel cajole votre femme. – Ma foi, répond-il, qu’il fasse comme il pourra ; je ne m’en soucie point. Il s’en lassera comme j’ai fait. Cette indifférence a fait enrager cette femme ; elle seiche de chagrin : lui est amoureux où il peut. Une abbesse s’étant retirée dans la ville, il la logea et sa femme un jour les surprit. Il ne fit que rengainer, lui faire sa révérence et s’en aller. » Il n’était pas jaloux. Dans Joconde son premier Conte, il écrit :

« ...Il monte dans sa chambre et voit près de la Dame
Un lourdaud de valet sur son sein étendu.
Tous deux dormaient. Dans cet abord, Joconde,
Voulut les envoyer dormir dans l’autre monde :
Mais cependant il n’en fit rien ;
Et mon avis est qu’il fit bien.
Le moins de bruit que l’on peut faire
En telle affaire,
Est le plus sûr de la moitié. »

Le mariage ne fut pas des plus heureux, mais pas des plus mauvais non plus : ce n’est qu’au bout de douze ans, en 1659 qu’ils finirent par se séparer. Ses conquêtes furent nombreuses. Tallemant des Réaux raconte ainsi une de ses aventures : Une… fois, il se saisit d’une petite chienne qui estoit chez la lieutenante-générale [de Château-Thierry], parce que cette chienne estoit de trop bonne garde, et le mari estant absent, il se couche sous une table de la chambre, qui estoit couverte d’un tapis à housse. Cette femme [La Lieutenante Générale] avoit retenu à coucher une de ses amies. Quant il vit que cette amie ronflait, il approche du lict, prend la main à la Lieutenante, qui ne dormait pas. Par bonheur elle ne cria point et il lui dit son nom en même temps. Elle prit cela pour une marque d’amour, et je crois, quoiqu’il en ayt dit qu’il n’en eut que la petite oye, qu’elle lui accorda toute chose… » [ Furetière note que petite « oye » se dit des menues faveurs que peut accorder une femme, fors les ultimes…] Cette histoire est emblématique des deux personnages : La Fontaine en galant homme raconte qu’il n’a obtenu que la petite oye, alors qu’il a tout eu, et Tallemant des Réaux en vrai paparazzi qu’il est, veut du détail et le veutcroustillant ; il en rajoute au besoin.


Parmi les femmes qu’il fréquenta, ses protectrices jouèrent un rôle majeur dans sa vie.

Si son premier et son dernier protecteur furent des hommes – Fouquet pour le premier et le banquier d’Hervart qui le logera dans ses tous derniers jours, il n’eut que des protectrices et notamment la duchesse de Bouillon qui le poussa à publier ses contes et Mme de Chevreuse qui le recueillera et le poussera vers l’Académie. Attardons-nous sur un cas particulier : celui de la duchesse d’Orléans. Le 14 juillet 1664, il prête serment entre les mains de sa nouvelle patronne Margueritte de Lorraine, duchesse d’Orléans, veuve vieillissante de Gaston d’Orléans, le turbulent frère de Louis XIII. Il vient d’obtenir la charge de « gentilhomme servant » de la duchesse. Cette charge consistait plusieurs jours par mois à faire le service de table de la duchesse et à faire ses menues courses. Le principal avantage, outre les introductions mondaines et la haute protection d’une princesse, toujours utile à cette époque, c’est l’anoblissement pour La Fontaine. Et c’est très utile pour lui, car s’étant targué à maintes reprises du modeste titre d’écuyer, il était alors poursuivi par le Parlement pour usurpation de noblesse et encourrait une amende de 3.000 Livres qu’il ne pouvait acquitter. Que n’avait-il suivi les conseils qu’il prodiguait dans sa fable où il met en scène Le Mulet se vantant de sa généalogie » :

Le mulet d’un prélat se piquait de noblesse…
Etant devenu vieux, on le mit au moulin.
Son père l’Âne alors lui revint en mémoire »...

Un autre avantage pour lui, c’était le luxe de ce palais, aujourd’hui palais du Luxembourg siège du Sénat, car notre fabuliste aimait le luxe et n’avait jamais oublié celui de Vaux chez son ex protecteur Fouquet. Pourtant sa nouvelle charge ne lui offrait que le couvert et encore, seulement quand il était de service ; le logement n’était pas fourni. Il lui fallait aimer le luxe pour vivre chez la princesse, car l’atmosphère n’y était pas folichonne : La veuve de Gaston d’Orléans avait disputé le palais à Mlle de Montpensier, fille d’un premier lit de Gaston… et cette querelle avait été loin… jusqu’au Parlement, qui en bon Salomon avait attribué la moitié Est à la demoiselle et la moitié Ouest à la belle-mère. Cette dernière éleva alors une cloison de pierre entre les deux moitiés de maison et de jardin pour bien marquer sa propriété, et en rétorsion, la demoiselle fit couper les hautes futaies du parc pour gâter la vue à sa belle-mère. Les gages de notre nouveau gentilhomme ne compensaient pas la mauvaise ambiance du palais : il s’agissait bien de 1.800 livres, mais comme ils étaient neuf gentilshommes servants à se les partager, cela ne faisait que 200 Livres pour lui : moins – remarque-t-il que le joueur de flûte de la duchesse qui en touchait 600 ! Ce chemin que nous venons de faire en compagnie de Jean de La Fontaine nous a permis de suivre la carrière typique d’un homme de lettres au XVIIe siècle, mais d’une carrière déjà un peu à l’ancienne, celle de l’artiste au service des Grands qui se construit lentement dans le sillage de patrons et de protecteurs puissants. Celle de Racine, par exemple, sera plus moderne, car basée sur la recherche du succès directement au théâtre auprès du public cultivé de l’époque.

Jouons de notre reste...

Ce quart d’heure passé ensemble nous a permis aussi de musarder avec notre fabuliste national sur le chemin des écoliers de cette vie d’éternel jeune homme distrait, paresseux, pétillant, malicieux, élégant, sans bouder notre plaisir de côtoyer un peu ce XVIIe siècle si élégant. Car ne l’oublions pas ! C’est pour nous une ardente obligation que de musarder dans les XVIIe et XVIIIe siècles. Dans sa comédie Climène, écrite pour Fouquet, Jean de La Fontaine nous l’a rappelé lui-même :

Je prévois par mon art un temps où l’Univers
Ne se souciera plus ni d’auteurs, ni de vers,
Où vos divinités périront, et la mienne.
Jouons de notre reste avant que ce temps vienne. »

Je vous remercie d’avoir joué avec moi.

François-Marie Legœuil, Causerie chez les Amis d’Alain, 2009