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Les Nuits de Sibérie

Les Nuits de Sibérie
Par Joseph Kessel
Chez Ernest Flammarion, collection « Les Nuits » 1929
Réédité en 2013 chez Flammarion ISBN : 2081250926

Vous pouvez aussi trouver ce livre chez votre bouquiniste pour un prix très modéré.
Par exemple à la Librairie Près de la Fontaine (Michel Pagani) 32 rue des Trois Faucons à Avignon.

La Grande Guerre est finie, mais en ces années 1918, 1919 les soldats français, avec leurs Alliés, sur des milliers de kilomètres de la Poméranie à Vladivostok, tentent de s’opposer à la Révolution bolchévique en soutenant les généraux "Blancs" Wrangle, Koltchak ou Denikine. Le très jeune officier aviateur Kessel attends à Vladivostok l’arrivée de son avion par cargo. Il a tiré de cette aventure pleine de fureur, d’incendies, de meurtres, et traversée de personnages étonnants mais bien réels son premier roman : Les Nuits de Sibérie...

« Nous étions seulement à la fin de l’hiver 1919… sur le vaste empire en convulsion, d’étroites fenêtres s’ouvraient à des milliers de lieues l’une de l’autre : Archangelsk en Mer Blanche, Odessa en Mer Noire, et Vladivostok au bout de l’Asie au fond du Pacifique… Il y avait vraiment à cette époque et dans ce lieu désolé une atmosphère unique. Fin de guerre, fin d’un ordre social, peau neuve d’un peuple, de cent peuples. Les nations en folie y avait toutes débarqué des soldats, Américains lourds de dollars, Anglais qui venaient chasser proprement le loup rouge, Tchèques… portant sur leurs visages le labeur du chemin qu’ils avaient frayé à coup de grenade de la Volga à l’Océan et les Russes achevant de dégueniller leurs uniformes. Et les Japonais, maîtres sournois de la ville. Et les prisonniers autrichiens, allemands, turcs, hongrois, roumains, bulgares, polonais, lettons. Et les travailleurs annamites. Et les cavaliers hindous… »
Sans oublier les Français bien entendu, de jeunes aviateurs qui attendaient leurs avions qui arriveront par bateaux longtemps après leur retour en Europe…
Et notre jeune Kessel aviateur volontaire de vingt ans, en attente de son avion et qui parlant russe du fait de sa mère est nommé Chef de gare en attendant, avec la mission d’assurer le passage des trains transportant les troupes françaises par milliers. La gare, remplie de centaines d’agonisants de typhus. Vladivostok, avec son cabaret aux six mille prostituées – l’Aquarium, son Ataman, le cosaque Sevenov – le russe blanc qui règne sur la ville conquise sur les Gardes Rouges avec seulement onze cosaques à cheval armés uniquement de redoutables fouets de cuir et qui habite un train blindé stationné dans la gare avec ses huit mille « cosaques en rupture de discipline et ses forçats en rupture de bagne… que n’effrayent ni un baril de vodka, ni la mort… »
Kessel sera invité à boire dans le train «  composé de voitures transformées en arsenaux roulants. J’apercevais des fusils, des sabres courbés, des cartouchières, des tubes de mitrailleuses… Il s’était arrêté devant une de ces magnifiques voitures du Transsibérien… une haleine de luxe m’enveloppa. Luxe insensé, barbare, luxe de pillage et d’orgie… »
Kessel dînera avec Orline, lieutenant de l’Ataman et ancien bagnard évadé ; on lui conseille de partir dès le dessert : « À présent, comme ils sont énervés, ils vont se saouler et cela finira par une fusillade… »
Ils vont à l’Aquarium où « deux officiers canadiens… commençaient à casser les verres… » et Vérova parut, « elle chantait celle-là, comme seules peuvent chanter certaines voix russes, éraillées, cassées par la fumée et l’alcool, mais sublimes de violence contenue, de pathétique, de terrible jeunesse… Quand ces voix-là parlent d’amour, de vin, de neige, de guerre ou de course en troïka – alors le vent de la course, la chaleur du combat, la blancheur des plaines, l’extase de l’ivresse et la brûlure luxurieuse pénètrent dans l’âme en flots pressés, tumultueux, vivants… »
Ils iront terminer la nuit chez Aglaé, la maîtresse de son camarade Tartzoff. Mais un groupe de cosaques ivres envahissent la chambre, accusent Aglaé de les avoir menés dans une embuscade de Gardes Rouges. Gricha, leur chef, déroule son fouet – la nagaïka « Puis froidement, voluptueusement, il releva la chemise de la fille. Et sur le ventre plein, laiteux, sur les cuisses tremblantes, sur les seins, la nagaïka se mit à tracer de violets sillons. Il aurait pu la tuer d’un coup, mais il prolongeait le plaisir, ne frappait que pour la douleur… la large lanière s’enroula de nouveau comme une langue monstrueuse et brûlante autour du torse, des reins, du sexe de la suppliciée… » Notre jeune aviateur veut s’y opposer, on l’assomme, on le jette à la rue. Il reprend ses sens à la lueur de l’incendie de la maison « …j’éclatai en sanglots… j’avais vingt et un an ».

Si Kessel a vingt ans à Vladivostok, il attendra dix ans avant de publier son récit. C’est alors un écrivain déjà confirmé avec près de trente ouvrages derrière lui. Mais ce premier roman de jeunesse est à mon avis déjà l’œuvre d’un grand écrivain : parfaite maîtrise du récit, l’art de faire monter l’attente et l’émotion sans faiblir jusqu’à la dernière ligne, un style nerveux, coloré, mais sans fioriture. Tout Kessel est déjà là. À noter que cette aventure le marquera puisqu’il la racontera à nouveau sous le titre « Les Temps Sauvages », en 1975 peu avant de mourir. Enfin, pour les amateurs de B.D., dont je suis, dès les premières lignes, j’ai retrouvé ce climat de fin du monde que j’avais profondément ressenti avec Corto Maltese en Sibérie, B.D. de Hugo Pratt, où l’on voit s’affronter en Sibérie en 1919 train blindé contre cavaliers cosaques, un récit et des dessins pleins de fureur traversés de figures inoubliables : le cruel Ataman Semenov et son lieutenant Spasetov, le fourbe pope Raspoutine, la troublante et dangereuse duchesse Seminova maîtresse de Koltchak, le pilote américain Jack Tippit et tant et tant d’autres. Je suis certain que Les Nuits de Sibérie ont fait partie de la documentation d’Hugo Pratt pour sa bande dessinée.

Amis lecteurs compulsifs, n’ayez pas peur d’abuser :
Lisez et relisez Les Nuits de Sibérie de Kessel,
Lisez et relisez la B.D. de Corto en Sibérie.

François-Marie Legœuil 

Et puis, si vous avez encore quelques instants, relisez sur ce site même, le petit texte d’introduction aux Bibliothèques de Famille parce que c’est dans l’une d’elles au fin fond de l’Anjou qu’un soir d’hiver sous un édredon j’ai lu ce magnifique roman d’un trait jusqu’au petit matin... Cliquez donc sur ce lien qui vous y amènera : De l’utilité des bibliothèques de maisons de famille