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Les Voix qui crient dans le Désert

Les Voix qui crient dans le Désert
Par Ernest Psichari
Éd. Louis Conard, 1948.

Vous pouvez aussi trouver ce livre chez votre bouquiniste pour un prix très modéré.
Par exemple à la Librairie Près de la Fontaine (Michel Pagani) 32 rue des Trois Faucons à Avignon.
Ou à la FNAC l’édition de 2008 pour 22€
Ou sur internet :
chez PriceMinister, j’en ai trouvé un à 8,50€,
et un autre exemplaire à 5,90€
Vous pouvez aussi le lire et le télécharger gratuitement et légalement à l’adresse internet suivante :Les voix qui crient…

C’était en février 2017, le futur Président de la République E. Macron, en voyage en Algérie taxa la colonisation de crime contre l’Humanité. J’étais alors en train de lire Les Voix qui crient dans le Désert de Psichari, magnifique édition sur papier vélin de 1936 que je venais de dénicher chez les chiffonniers d’Emmaüs. Sans cette déclaration, je me serai contenté de ma lecture privée. Après avoir entendu le candidat, j’ai pensé qu’il fallait permettre à tout un chacun de lire au moins une fois dans sa vie une pièce de première main dans ce procès de la colonisation dont la condamnation sans appel et sans droit d’inventaire fait désormais partie du prêt-à-penser que charrie l’enveloppant et irrésistible fleuve médiatico-politique. Il ne s’agit pas du tout de présenter une glorification de la colonisation – ce que n’est en aucune manière le texte de Psichari - mais seulement de comprendre ce que pouvait penser, ressentir et vivre un des acteurs de cette aventure qui nécessairement partage, non seulement une partie des lumières, mais aussi bien sûr des ombres et même des ténèbres de son époque. Sans oublier que Psichari en est un acteur de très grande qualité et donc nullement représentatif de la multitude des médiocres que la colonisation, comme toute aventure humaine, a nécessairement charriée.Je vous en préviens, vous allez entrer en contact avec une pensée révoltante pour notre temps : celle d’un jeune homme engagé dans l’armée par idéal, pour participer à cette exaltante aventure que paraissait être alors la colonisation, avec la conviction d’amener la civilisation dans ses bagages ! Il vous affirmera même à maintes reprises qu’il est l’héritier du soldat romain, le descendant des croisés, le digne successeur des va-nu-pieds de l’An II ! Non pas qu’il pensât arriver chez les barbares. Bien au contraire : il apprit leur langue, se lia d’amitié avec beaucoup, découvrit avec admiration certaines de leurs coutumes, et constata qu’il partageait avec eux une profonde spiritualité en même temps que le goût de la vie aventureuse et errante. Et c’est précisément ce contact intime avec le désert et ses nomades qui accélérera le mouvement qui finira par le conduire à la conversion.

Car comble d’horreur, ce soldat finira par se convertir à l’appel de ces « Voix qui crient dans le désert ». Et au Catholicisme, de surcroît ! On mesure le gouffre qui nous sépare de cette époque. Et c’est bien pour cela que nous devons lire ce livre aujourd’hui où les mots clés de notre société sont : différence, dissidence, résistance, insoumission, glorification des minorités.

Car le lecteur y rencontrera un esprit comme il n’aura sans doute jamais la possibilité d’en fréquenter dans « la vraie vie », tellement différent, tellement minoritaire, tellement rebelle et en résistance contre son époque. Théoriquement donc, répondant à tous ces mots clés d’aujourd’hui, le récit autobiographique de Psichari ne devrait que plaire. Et pourtant, il n’en est rien.

Car, faute impardonnable pour notre temps, il s’agit du journal autobiographique des deux routes suivies par un jeune homme approchant de la trentaine : la route que les soldats, pionniers de la colonisation, ouvrent en Afrique saharienne au tout début du vingtième siècle, notre siècle - pardon : le mien !… et la route d’une conversion qui finit, dans le dernier tiers du livre par prendre le dessus sur la première. Deux routes qui se suivent, se poursuivent, se superposent sans jamais se mélanger tout en se croisant à tout bout de champ. Deux routes aussi condamnables l’une que l’autre pour un esprit « libéré » d’aujourd’hui. D’autant que la réflexion est constamment soutenue par des citations latines cueillies chez les poètes et les philosophes de l’Antiquité, et pis encore, souvent empruntées aux textes sacrés ! Tout un environnement de pensée, toute une façon de réfléchir, de raisonner et de s’exprimer qui achève de disparaître actuellement au rythme du grand naufrage de la culture classique des « humanités ».

Afin de susciter chez quelques-uns le désir d’ouvrir ce livre, je vais citer des extraits des « bonnes pages » comme on dit. Ce sera sans doute un peu long… loués soient donc ceux qui iront jusqu’au bout de ce pensum.

Pour vous mettre en condition sans tarder, voici une phrase tirée de la préface rédigée par sa sœur Henriette : « En 1903, il échange son inscription à la faculté de lettres contre la corvée en bourgeron dans la caserne de Beauvais… L’armée… il l’avait dotée d’une valeur historique qui monte des entrailles de la France ; il s’aperçut qu’il avait placé dans l’idée militaire beaucoup de choses qu’elle ne contient pas. Quelques années lui suffiront pour conclure que la soumission du soldat n’est que la figure d’une soumission plus haute ».

Vous êtes toujours là ? Alors, continuons ! En 1906, Psichari est choisi pour faire partie des neuf officiers et sous-officiers qui vont chercher au milieu des forêts équatoriales, puis dans le désert la route du Tchad, ce qu’il fera avec enthousiasme pendant six années. Ce sont les deux dernières années de cette période, de juin 1910 à novembre 1912, en Mauritanie, qui font l’objet de ce livre… deux années au cours desquelles la fréquentation des Maures va précipiter sa conversion, car comme le dira sa sœur Henriette : « Avant de croire, Psichari était un converti. »

Le récit de cette aventure africaine est des plus dépaysant… L’Afrique dont il parle était celle des débuts, des « factoreries » disséminées sur les berges des fleuves pour le commerce de l’ivoire et du caoutchouc, au-delà desquelles commençaient les terrae incognitae. L’épopée de Savorgnan de Brazza venait à peine de s’achever ; les atrocités de la colonne Voulet-Chanoine commençaient à sombrer dans l’oubli et le splendide et terrible récit de Conrad « Au cœur des ténèbres » rendait bien compte du côté obscur de ces pages d’Histoire. À cette époque, pas de radio pour le contact avec ses supérieurs : le jeune officier Psichari est seul des mois durant avec ses Touaregs ; pas de rations vitaminées, mais de la viande boucanée ; pas d’eau minérale, mais celle fangeuse et polluée des mares, pas de quinine pour le palu, pas de médecine pour la lèpre, le béribéri ou la typhoïde. En Mauritanie, Psichari mènera donc une vie militaire sans doute très proche de celle des soldats romains auxquels il fera maintes références. Il y sera à la tête d’une section de méharistes et de partisans maures allant de pâturage en pâturage et de puits en puits, de coups de main en embuscades à la poursuite de razzieurs pour réduire les « dissidences » et les « insoumis », à la découverte de pistes nouvelles dans des régions non cartographiées…

L’Afrique dont parlera Gide douze ans plus tard en 1927 dans Voyage au Congo, sera déjà très différente : elle sera presque totalement cartographiée et parsemée de postes et de missions, avec un embryon d’administration, de voies de communication et la radio :
« Le 17 février 1910, au lever du jour, une petite caravane se mettait donc en route après avoir dit adieu aux flots paisibles du Sénégal [le fleuve]. En tête, marchait l’avant-garde, composée de six tirailleurs sénégalais sous la conduite d’un sergent indigène. Puis venait le colonel suivi de son interprète, le Toucouleur Baïla Biram et de quelques cavaliers noirs. Enfin, une section de tirailleur précédait le convoi composé de seize voitures Lefèvre traînées à mulets. À l’arrière, marchait le palefrenier du colonel, fièrement campé sur un bœuf affublé d’une selle anglaise, puis la longue suite des domestiques, cuisiniers et marmitons, et enfin, l’arrière-garde composée d’un sergent européen et de douze tirailleurs sénégalais. Sur les flancs, la marche était gardée par une douzaine de partisans maures appartenant à la tribu des Ouled Biri tous montés sur de magnifiques chameaux qui les berçaient indolemment. »

« Après la chaleur accablante du jour, le frais crépuscule mettait en moi je ne sais quelle légèreté, et il me semblait percevoir comme une ascension de mon âme dans l’espace. Alors, perdu sur la terre, je m’abîmais dans le mystère du monde, les yeux fixés sur Orion qui, solitaire, émergeait des voiles secrets de l’horizon. »

« Il y aurait une noble page à écrire sur les débuts de la Mauritanie française. Et elle s’ouvrirait sur une belle page : Monsieur Coppolani se promenait en 1903 sur la rive droite du Sénégal, dans l’appareil le plus modeste qu’ait jamais eu le représentant d’une grande puissance, et le regard tourné vers le nord où mille difficultés l’empêchaient de s’aventurer… le drame de 1905 [cet administrateur y fut tué dans une bataille qui l’opposait aux guerriers conduits par Moulay Idris, cousin du Sultan du Maroc que les tribus avaient appelé au secours]… Voilà donc la grande figure à laquelle nous pensons à Moudjéria. Mais à cette pensée se mêle une sorte de malaise… Eh quoi ? Oublions-nous donc si facilement que nous sommes une puissance de chrétienté ? … quand je repense à l’inscription arabe : « Ci-gît Coppolani , l’ami des musulmans », je ressens un respect mêlé d’inquiétude. Et il me prend alors le désir de relire les histoires du sire de Joinville et de réapprendre comment il se comportait « en l’aventure dou pélérinaige de la croix. »


Psichari a la conviction d’amener la civilisation dans ses bagages militaires. Il dira à maintes reprises être l’héritier du soldat romain, le descendant du croisé, le digne successeur du va-nu-pieds de l’An II. Mais il ne pensait nullement arriver chez des barbares. Bien au contraire :

Sur beaucoup de Français qui n’ont plus la foi [ce qui était à l’époque le cas de Psichari], mais qui en ont gardé le regret, l’Islam exerce une puissante attraction. Il ne faut pas trop s’en plaindre. Ce goût nous a donné une habileté extraordinaire dans la conduite et le maniement des musulmans. »

« Nous voyions souvent arriver de jeunes guerriers, fiers comme des gueux, dont le maintien sérieux, les poses harmonieuses, les traits fins annonçaient de vrais aristocrates. … la vie rude des coureurs de brousse, la vie austère des contemplatifs, voilà les deux aspects de l’âme maure. »

« Il me semble maintenant que ces heures-là m’ont aidé à comprendre certains aspects de l’âme maure. Peut-être aurais-je pu les utiliser à mon profit. Mais le courant à remonter était si fort, que je ne me sentais pas capable de lutter. À cette époque, je me disais seulement : « ces grandes facilités de méditations que nous consent cette terre spirituelle, les Maures les utilisent et ils font à cette aridité, d’admirables ornements. Pourquoi, transformant à notre mesure de semblables forces et en les employant à notre bien propre, n’essayons-nous pas aussi de nous enrichir ou plutôt de reconquérir nos richesses perdues ? » [richesses spirituelles naturellement]


Il connaît bien les divers courants religieux de l’Islam en vigueur au Sénégal et en Mauritanie… en discute toujours avec ses invités maures rencontrés dans le désert et ces conversations le renvoient à ses racines : « C’est ici que Coppolani nous ouvre des horizons surprenants. Il nous montre l’influence profonde de l’alexandrinisme, de Porphyre, de Jamblique, de Plotin, sur la théologie islamique… Tant de rêves élevés, tant de mysticisme florissant en plein vingtième siècle sur le sol le plus inhospitalier du monde peuvent bien nous émouvoir. Nous avons la sensation fortifiante d’aller à des excès, de nous élever au-dessus de la médiocrité quotidienne… »…

Nous dressons l’oreille quand ce Coppolani nous cite la réponse d’un vieux soufi à un riche qui lui offrait de l’argent : « Voudrais-tu faire disparaître mon nom du nombre des pauvres moyennant dix mille drachmes ? » et qu’il la rapproche du mot de sainte Thérèse : « on nous ravit la pauvreté qui était notre trésor. » Ici, nous sommes sur une terre connue. Nous sommes chez nous. »

Entre deux discussions théologiques, le lieutenant Psichari se lance à la poursuite de rezzous, et nous retrouvons presque chez le colonel Lawrence en 1921 :
« … nous avons reçu le renseignement qu’un petit medjbour, alourdi par des prises nombreuses remontait vers le nord… B* qui venait d’arriver de l’Adrar avec ses méharistes s’élance avec quelques hommes… j’entends des coups de fusil… nous partons et c’est une course folle… je sens derrière moi les grands pas élastiques des chameaux… un uniforme mouvement de grande coulée vers l’avant, les cous tendus. Heure exquise ! Déjà mille imaginations guerrières nous éblouissent. Je précède un frémissement de joie – cette griserie qui secoue vite les Maures quand le vent de la plaine leur coupe le visage et qu’ils reniflent un peu de poudre. Tout à coup, nous apercevons un grand désordre… les razzieurs surpris pendant la sieste, ont fui, abandonnant leurs prises ; une centaine de chameaux, des étoffes, du thé, des pains de sucre… et B* un jeune guerrier français, qui crie au milieu de cette confusion. Une joie naïve et saine de conquérants devant ce butin obtenu de haute main. »


Un vieux cheik, abandonné de tous vient demander la paix à Psichari et lui dit : « Vous avez la force, et je sais bien qu’il faut plier tôt ou tard, mais vous n’aurez pas mon cœur. Jusqu’à ma mort, je resterai Alsman, le fils de Bakar, qui était le fils de Souïed Ahmed. »

Loin de s’indigner, Psichari commente : « Fanatisme, non. L’idée de la guerre sainte contre l’infidèle apparaît bien rarement en Mauritanie. Haine du « Roumi » ? Non. Mais amour de la liberté, des grandes razzias ensoleillées. Et aussi, fierté d’une grande race qui se rappelle obscurément qu’elle conquit l’Espagne et le Moghreb. C’est encore du rêve. Sont-ce donc des fanatiques ? Non, ce sont des rêveurs. »

Nous retrouvons des références à Gobineau, que Psichari connaît bien et cite à plusieurs reprises, mais le sulfureux Gobineau n’est pas là où on pourrait l’attendre :

« M. de Gobineau nous rappelle un des mots essentiels de l’Islam : « L’encre des savants est plus précieuse que celle des martyrs ». Et il nous montre à quel point, l’Islam est une religion d’intellectuels. L’encre des savants ! J’y pensais en voyant au poste le vieux cheik El Ghawani chaussé de bésicles, et en train de psalmodier un traité de la prédestination que venait de lui prêter le capitaine G…. un Français sera toujours révolté par le propos que nous rapporte M. de Gobineau. Quand de jeunes hommes d’aujourd’hui dénoncent l’intolérable domination intellectuelle de nos modernes savants, ils font l’œuvre la plus belle, la plus salutaire… ce qui nous console, c’est le cri du cœur, ce « Oh ! » d’indignation qui jaillit spontanément, quand nous entendons comparer la plume d’oie de l’écrivain à la palme du martyre. On frémit d’imaginer ce que nous serions, ce que serait la France, si les théologiens d’Occident avaient proclamé une semblable vérité. »


Cette vie aventureuse tourne vite chez lui à la recherche métaphysique :
« Ce pèlerinage en vaut bien d’autres, plus classiques : Athènes, Rome ou Bayreuth. Ici, ce n’est que nous-mêmes que nous recherchons. Et trouverons-nous quelque chose ? »

« Comme nous allons vers des terres que nous ne connaissons pas, voici que nous découvrons dans notre cœur de grands espaces inexplorés… Toute cette misère, celle de la terre et la nôtre propre… nous sommes forcés de reconnaître que toute cette misère est très naturellement à nous, et que c’est au contraire la cité moderne qui n’est pas à nous et où nous sommes des étrangers. Cette pure simplicité de la vie nomade, cette pure rudesse, voilà les vertus que nous aimons… Oh ! comme elle est bien à nous, cette terre sans nom… loin des usines et des boutiques et des gares, comme nous nous reconnaissons les uns les autres, nous les soldats, avec au cœur, toute la joie de la délivrance ! Si loin du progrès, nous sentons que nous sommes des hommes de fidélité, et qu’au fond, le progrès nous est égal… Mais alors, une pensée nous vient. Pourquoi tant d’abandons que nous avons consentis, tant de reniements dont nous sommes coupables, tant de dérélictions qui sont les nôtres ? – Pourquoi, parmi ces forces qui s’opposent au progrès abhorré, garder l’armée et rejeter l’Église ? Quand je causais avec Mohammed Fadel, je tenais à rester « Français ». Mais alors, tout naturellement je lui parlais du Christ en chrétien, et j’eusse éprouvé la plus grande honte à ne pas le faire. Je me rappelle ces conversations comme la chose la plus étrange du monde. Je n’avais pas la foi et je parlais en croyant, et pourtant je n’avais pas le sentiment de manquer de sincérité. Alors, pour la première fois, je compris combien le Christ me liait, comme malgré moi et à mon insu. »


In Carnets de Route, Psichari écrit : « Admirable religion que celle du Croissant, qui réussit infiniment mieux là-bas que le christianisme et qui y fait aussi beaucoup plus de bien. Religion mieux adaptée à l’homme, plus pratique et plus vivante que le catholicisme. » … « Je crois qu’il n’y a pas plus de malhonnêtes gens aux colonies qu’ailleurs. Mais la plupart des coloniaux ont des jugements très faux et des points de vue inexacts sur le pays qu’ils habitent et sur la conduite à y tenir. Ils oublient ce principe qu’il faut arriver dans un pays avec une idée préconçue de sympathie. Tous les Africains [coloniaux…] que j’ai vus ont la haine du noir. Ils ne parlent que de coups de chicote et les scènes de brutalité sont fréquentes. … je crois que le noir est très malléable et qu’avec un peu de patience, on peut en faire ce qu’on veut. »

Et toute la deuxième partie du livre ne sera que l’histoire de sa conversion : « Dans le monde, ce que j’aime le mieux au fond, ce sont les dévots. Ceux avec qui je m’entends le mieux ce sont les vrais dévots, les hommes de sacristie et de confessionnal, les hommes enfin de scrupuleuse fidélité, les hommes d’exactitude et d’onction, en même temps, les hommes d’observance, les obéissants et les pacifiques. Pourquoi ne vais-je pas à mes vrais amis ? Il ne manque absolument que cette petite étincelle de la grâce… »

…« Car pour le Maure, France et chrétienté ne font qu’un. Ne nous appellent-ils pas « Nazaréen » plus volontiers que « Français » ? Et c’est une chose étrange que ce soit eux qui viennent sur ce point nous éclairer sur nous-mêmes et nous donner une leçon. » …

…« Mon Dieu, puisque vous m’avez mené jusqu’ici pour me faire entrevoir votre visage, ne m’abandonnez plus. … envoyez-moi mon Dieu le signe adorable de votre présence… … maintenant, laissons agir le silence. C’est un grand maître de vérité. »…

…« Le Greco de Maurice Barrès me ramène vers cette lointaine Espagne qui fut ma première station vers l’Islam. Ne sommes-nous pas ici dans le pays des anciens maîtres de Tolède ? Bien déchus de leur splendeur d’autrefois, sans doute. Et pourtant, quand on voit les grands mystiques qui vivent encore sur cette terre si rude, aussi nue que la Castille, on ne peut s’empêcher de penser à la figure que faisait le Greco dans Tolède… J’ai rencontré, dans les gorges du Tagant, de vrais ascètes qui au Tolédan… Tout ce que l’on dit du Greco, peut s’appliquer, à peu de chose près, à l’âme des Maures ou, à l’espagnole, des Mores »


Ma note de lecture touche à sa fin. Il est temps pour moi, mes amis, de vous donner une dernière occasion de vous indigner avec des réflexions de Psichari aussi « déconcertantes » que celles-ci :
« Nous sommes ici à la borne septentrionale de notre empire. Mais comment arrête-t-on ce large mouvement auquel seul l’océan peut mettre un terme ? La force qui nous pousse est invincible, parce qu’elle est ordonnée… Que faire contre la force, unie à la raison ? C’est un flot discipliné qui roule d’un bord à l’autre du Sahara… les maîtres de la France – s’inquiètent : « Arrêtez ! N’allez pas plus loin ! » Mais ils ne sont pas aussi forts que cette force-là. »

… « On peut le dire sans paradoxe : nul n’est pleinement Français, s’il n’est avant tout catholique (sans que cette idée n’enlève rien à la grandeur de la « catholicité » de l’universalité). Ce qui est requis pour la qualité de Français, c’est la foi de saint Louis et de Jeanne d’Arc, sinon leur sainteté. »
… « Nous tous, qui sommes nés avec le siècle, avons le sentiment de notre importance… C’est de nous que dépend le salut de la France, donc celui du monde et de la civilisation… Nous savons bien que nous verrons de grandes choses, que de grandes choses se feront par nous. »

En conclusion, arrêtons-nous quelques instants sur ces textes. Nous sommes en 1906 dans les confins Tchadiens : à cette époque et à cet endroit, ce livre est très loin de retracer une page « coloniale ». Il s’agit plutôt du journal d’une aventure vécue par un jeune homme idéaliste qui passe trois années sur un dromadaire à parcourir des terres encore inconnues, non cartographiées, à des années-lumière de la « civilisation ». Il a le sentiment justifié d’écrire l’Histoire et d’établir la géographie tout en méditant une aventure spirituelle nourrie par la beauté des paysages et par les discussions entreprises aux hasards des chemins avec des chefs tribaux musulmans, aristocrates et va-nu-pieds si différents de lui et pourtant si proches et qui partagent avec lui les mêmes préoccupations intérieures. C’est à ses rencontres avec ce que d’autres appelaient alors les « indigènes » qu’il devra sa conversion. Trente-cinq ans à peine séparent ce jeune Psichari de cet autre jeune homme qui deviendra un historien merveilleux – Jean Delumeau – et qui venant d’intégrer en 1942 la nouvelle école militaire de Cherchell, dîne un soir chez un colon et aperçoit sur le mur du salon deux fusils. Son hôte commente : « cela peut toujours servir… » Delumeau découvre alors que « l’histoire apprise à l’école est pleine de mensonges » : la France est en Algérie et dans les colonies contre le vœu des populations locales. Il se découvre ainsi une vocation d’historien. Trente-cinq ans, deux moments de l’Histoire, deux parcours, deux témoignages.
Mes amis, bonne lecture, bon remue-méninges et à bientôt pour une nouvelle « Note de lecture ».

Et puis, si vous avez encore quelques instants, relisez sur ce site même, le petit texte d’introduction aux Bibliothèques de Famille parce que c’est dans l’une d’elles au fin fond de l’Anjou qu’un soir d’hiver sous un édredon j’ai lu ce magnifique roman d’un trait jusqu’au petit matin...

Cliquez donc sur ce lien qui vous y amènera : De l’utilité des bibliothèques de maisons de famille

François-Marie Legœuil